التفكير في التركيب مع علم الاجتماع Thinking complexity with sociology Penser la complexité avec la sociologie
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التفكير في التركيب مع علم الاجتماع
Penser la complexité avec la sociologie
Thinking complexity with sociology
273-285
Date de réception: 17/12/2023 Date d’acceptation:09/10/2024

Lamia Mortad-Nefoussi / Jinane Mortad
  • resume:Ar
  • resume
  • Abstract
  • Auteurs
  • TEXTE INTEGRAL
  • Bibliographie
البحوث المتداخلة التخصصات تعرف علم الاجتماع عدة تغيرات منذ تأسيسه. ويتسم العصر الحديث بظهور ظواهر اجتماعية مركبة. وحتى يتم تسليط الضوء على تعددية أبعاد هذه الظواهر، يتعين تبني مقاربة متداخلة التخصصات، قادرة على منح تأويلات متجاورة بين مختلف التخصصات   ضمن تصور شمولي الذي يأخذ بالحسبان الأبعاد المختلفة للظاهرة المدروسة. وبدون الادعاء بأن هذه الدراسة لم يتطرق إليها أحد من قبل، يأتي هذا المقال بغية توضيح آفاق البحث في علم الاجتماع، موازاة مع وجود ظواهر اجتماعية مركبة، وأيضا تحديد شروط الحوار مع التخصصات الأخرى، ولكن بدون إعادة التشكيك في مكانة علم الاجتماع.
للوصول إلى هذه الأهداف، سأولي اهتماما خاصا بالمسائل الموالية:
-فيم تكمن خصائص الظواهر المركبة؟
-كيف تسهم المقاربة المتداخلة التخصصات في تطور المعرفة العلمية؟
-هل تتطلب دراسة الظواهر الاجتماعية المركبة –التي تتشكل في محيط مضطرب-  وجود حوار محتمل بين علم الاجتماع والتخصصات الأخرى؟
 
الكلمات المفتاحية:علم الاجتماع,التركيب,النسق,الحوار
 
La sociologie a connu de nombreux changements, et ce, depuis sa naissance. L’ère actuelle témoigne l’émergence des phénomènes sociaux complexes. Afin de mettre en évidence le caractère multidimensionnel de ces derniers, il serait judicieux d’opter pour une approche interdisciplinaire, capable de fournir des interprétations juxtaposées entre les diverses spécialités, dans une perspective holistique, qui prend en considération les différentes dimensions du phénomène étudié.
Sans prétendre à l’exhaustivité, cet article se propose de clarifier les perspectives de la recherche en sociologie, face aux phénomènes sociaux qui sont devenus complexes, ainsi que les conditions de dialogue avec les autres disciplines, sans pour autant remettre en cause le statut de la sociologie. 
Pour ce faire, nous portons un intérêt particulier aux réflexions suivantes :
-Quelles sont les spécificités des phénomènes complexes ?
-Dans quelle mesure l’approche interdisciplinaire concourt à l’avancée de la science ?
-L’étude des problèmes sociaux complexes, inscrits dans un environnement turbulent, requiert-elle nécessairement un éventuel dialogue entre la sociologie et les autres disciplines?
 
Mots clés:Sociologie,complexité,système,dialogue,interdisciplinarité
Sociology has undergone many changes since its birth. The current era is witnessing the emergence of complex social phenomena. In order to highlight the multidimensional nature of the latter, it would be wise to opt for an interdisciplinary approach, capable of providing juxtaposed interpretations between the various specialties, in a holistic perspective, which takes into consideration the different dimensions of the phenomenon studied. Without claiming to be exhaustive, this article aims to clarify the perspectives of research in sociology, in the face of social phenomena that have become complex, as well as the conditions for dialogue with other disciplines, without questioning the status of sociology. To do this, we pay particular attention to the following reflections:
-What are the specificities of complex phenomena?
- How far does the interdisciplinary approach contribute to the advancement of science?
-Does the study of complex social problems in a turbulent environment necessarily require a dialogue between sociology and other disciplines?      
 
Key Words :Sociology,complexity,system,dialogue,interdisciplinarity

Quelques mots à propos de :  Lamia Mortad-Nefoussi

أ.د. لمياء مرتاض نفوسي   Université de Abdelhamid Benbadis, Mostaganem, Algerie lamia.mortad@univ-mosta.dz

Quelques mots à propos de :  Jinane Mortad

د. جنان مرتاض       Université d’Oran2, Oran, Algerie mortad@live.fr
Introduction 
L’histoire de la sociologie (sociology) révèle qu’elle a émergé et a évolué suite aux évènements majeurs qui ont marqué l’histoire de l’humanité au 19e et 20e siècle, à savoir : la révolution industrielle, l’émergence de la division du travail, et les deux guerres mondiales. Ceci a eu un impact sur ses problématiques.
En effet, les sociologues classiques se sont penchés sur les causes des changements à une échelle « macroscopique », afin de déterminer un schéma explicatif du mode de fonctionnement des sociétés et les causes de leurs transformations, ce qui est constant et surtout ce qui est changeant dans la vie humaine. Mais, ils se sont intéressés plus aux phénomènes relatifs à la transformation des sociétés à travers le temps, qu’aux phénomènes liés au changement social.
En fait, la sociologie n’aurait pu évoluer si elle n’avait pas bénéficié de l’apport d’autres disciplines, telles que la psychologie, l’anthropologie, la philosophie et les études linguistiques, par le biais de divers courants de pensée. Ceci a permis de cerner les contours de la sociologie contemporaine, qui s’est inspirée de la sociologie classique.
Mais à l’heure actuelle, la sociologie à elle seule ne peut plus expliquer les phénomènes sociaux qui sont devenus complexes, d’où l’apport et la nécessité d’une approche interdisciplinaire capable de fournir des interprétations juxtaposées entre les diverses spécialités, dans une perspective holistique, qui prend en considération les différentes dimensions du phénomène étudié. Or cet état des lieux ne peut être appréhendé comme une faiblesse, mais comme une richesse de la discipline.
Afin de saisir cette complexité, le sociologue doit adopter cette posture qui exige une réflexion sur la diversité et le dialogue entre les différentes disciplines, où chacune d’entre elles contribue au développement de la connaissance du phénomène étudié, par le biais de l’échange, de la participation et de l’intégration qui s’opèrent entre elles.
Autour du concept de complexité en sciences humaines
La complexité (complexity) est l’une des plus grandes thématiques qui a été abordée tout au long des précédentes décennies par un bon nombre de représentants de diverses disciplines.
Aujourd’hui, il n’est plus possible de morceler la réalité sociale (social reality), comme si chaque phénomène appartenant au monde réel était explicable par une dimension unique.
En effet, les dimensions se rapportant aux phénomènes complexes sont à la fois multiples, complémentaires et interdépendantes. Ce nouveau contexte est le résultat des transformations qui se sont produites tant au niveau économique, politique, technologique que social, remettant en cause les modèles linéaires, ainsi que les schémas explicatifs holistiques, où la certitude (certainty) n’est plus de l’ordre du jour.
Face à un environnement turbulent (turbulent environment) où règne l’incertitude (uncertainty), avec tous les changements qu’il engendre, « les explications mono-causales fondées sur le « choix rationnel » […], sont toujours plus reconnues comme inadéquates, ou du moins insuffisantes. » (Serrat, 2009)
Il est à noter que complexité et système (system) vont de pair, où le système est appréhendé comme « un tout constitué d’éléments en interrelations » (Bertalanffy, 1969), le tout n’étant pas simplement la sommation de ses éléments. En effet, ce qui caractérise les éléments d’un système en outre de leur interdépendance, est que chacun d’entre eux pris à part n’a de sens que s’il est intégré dans l’ensemble, c’est-à-dire dans le système. En d’autres termes, si les éléments du système sont isolés, le système perd son « identité » et ses repères.
Les éléments sont organisés de telle sorte que chacun d’entre eux remplit une fonction précise afin de garantir l’ordre tant convoité par le système. Chaque changement qui s’opère à un des niveaux, entrainera certainement la transformation du système.
Dans l’étude d’un système, il est important de faire ressortir sa complexité, en indiquant les relations qu’il engendre, ainsi que les interactions entre les parties prises ensemble, et non pas séparément, dans une approche globaliste –sans tomber dans une approche réductrice - où il est quasiment impossible de dénombrer ses relations et ses interrelations.
Quant à la relation du système avec son environnement, elle s’apparente à une série d’échanges perpétuels entre les deux niveaux ainsi qu’avec d’autres systèmes, chacun selon son degré de complexité, d’où la notion de « système ouvert » (open system), capable d’établir une série d’échanges réciproques avec l’environnement. Ceci lui concède une complexité plus grande par rapport à d’autres systèmes, qui « fonctionnent dans un environnement lent et protégé. » (Camacho, 2012)
Ces systèmes ont la capacité d’auto-organisation (self-organization), après une turbulence (turbulence)vécue, cherchant à se procurer les informations ou la matière ou l’énergie suffisantes pour leur survie, voire leur évolution.
La notion de complexité entra en scène « avec les travaux sur la cybernétique d’Ashby et Weiner ». (Camacho, 2012)
Il est vrai que la complexité est un terme« complexe », tant qu’il est confus et difficile à cerner.
Elle « surgit comme difficulté, comme incertitude » (Morin, 2022), dans la mesure où elle met en évidence les difficultés et les réponses « incertaines » sur les phénomènes complexes, dans un environnement turbulent, caractérisé par des changements rapides et qui sont le plus souvent imprévisibles.
Encore plus, la complexité est « l’incertitude au sein des systèmes richement organisés» (Morin, 2022), comme partie intégrante des organisations complexes. 
Mais, comment est incarnée l’incertitude ? En fait, elle part du principe qu’un « objet [n’est plus] bien déterminé, [n’est plus] soumis à des lois simples, et sur lequel il [observateur] peut opérer des prévisions précises » (Morin, 1982). Ainsi, incertitude et imprévisibilité vont de pair. Dans  ce  sens, un système complexe (complex system) est un système qui vit beaucoup d’incertitudes, dues « aux interactions non linéaires et aux multiples rétroactions ». (Dietz T. et al., 2007)
L’histoire effective de la pensée sur la complexité a vu le jour dans les années cinquante du siècle dernier. Warren Weaver a écrit un article de référence intitulé : Science and Complexity 1948). 
Dans cet article, l’auteur évoque les enjeux liés à l’émergence de la science depuis le 17e siècle.
Il s’agit en premier lieu du développement en temps de guerre de nouveaux types d’appareils informatiques […puis a vu le jour] l’approche «équipe mixte» des opérations, […où ses membres] ont mis en commun leurs ressources, et concentré toutes leurs idées différentes sur les problèmes communs. (Weaver, 1948)
Le recours à ces équipes mixtes fut d’abord initié « pendant la Seconde Guerre Mondiale par les Britanniques, pour faire face à des problèmes tactiques et stratégiques. » (Alhadeff-Jones, 2008)
A partir de 1949, les études sur la complexité organisée dans une perspective cybernétique ont vu le jour, initiées par ce qui fût appelé « Conférences Macy », animées par « H. Von Foerster, N. Wiener, J. Von Neumann, L. Savage, W. Mc Culloch, G. Bateson, M. Mead et K. Lewin » (Alhadeff-Jones, 2008), mais sans cadre épistémologique rigide.
Ce fut le cas de la première génération de théories de la complexité. La deuxième génération de ces théories a vu le jour au début des années 1960, où cette notion fut introduite pour la première fois dans une revue américaine significative en épistémologie. Au cours des décennies suivantes, le développement économique de grandes compagnies, les progrès technologiques et le contexte de la guerre froide contribuèrent à développer un environnement socio-culturel qui favorisa l’émergence rapide de nouvelles théories, revisitant l’idée de complexité. (Alhadeff-Jones, 2008)
Les années 1980 témoignent l’avènement de la troisième génération de théories de la complexité qui a été représentée par deux courants ; le premier courant a vu le jour dans le champ anglo-saxon à travers l’étude des «systèmes adaptatifs complexes» (Complex Adaptive Systems ou CAS), [qui] se situe à la frontière entre les développements les plus récents dans l’étude de dynamiques non-linéaires, les théories contemporaines en biologie évolutionnaire et les recherches en sciences de l’artificiel. Une seconde voie s’est développée principalement dans des pays latins, en Europe et en Amérique. (Alhadeff-Jones, 2008)
La notion de complexité fut adoptée par  Edgar Morin dans beaucoup de ses réflexions, se présentant chez bon nombre d’analystes comme l’auteur de la complexité, pour qui complexité ne rime pas avec simplicité, idée probablement inspirée de Gaston Bachelard, où ce dernier propose un nouveau paradigme qui conçoit la simplicité comme étape provisoire, car « il n’y a pas d’idée simple, parce qu’une idée simple, comme l’a bien vu M. Dupréel, doit être insérée, pour être comprise, dans un système complexe de pensées et d’expériences » (Bachelard, 1968), au sens où il faudrait chercher la complexité derrière tout phénomène étudié, apparemment «simple».
La Science, des 17e ou 18e siècles s’avère désormais révolue; elle est en plein expansion, entre dispersion et concentration, entre holisme et parcellisation des connaissances, entre continuité et discontinuité.
Thomas Kuhn nous fait savoir que la science ne se développe plus « par l’accumulation des connaissances, mais par la transformation des principes organisant la connaissance ». (Tellez, 2009)
Ainsi les principes qui ont conduit au développement de la science dite « classique » s’avèrent révolus et incapables de développer la science moderne.
Dans son avancée, la science a dépassé certains paradigmes qui recouvraient une réalité indiscutable pendant longtemps. La complexité vient justement pour remettre en cause ces paradigmes qui sont remis en cause.
Dans ce sens, nous confirmons la thèse de Morin, qui stipule que la simplicité
 « n’est pas aussi simple que cela » (Tellez, 2009), où le paradigme de  la simplicité est conçu « comme celui qui met de l’ordre dans l’univers, et en chasse le désordre (…) La simplicité voit soit l’un, soit le multiple mais ne peut voir que l’Un peut être en même temps multiple. Le principe de simplicité sépare ce qui est lié (disjonction), soit unifie ce qui est divers (réduction). » (Morin, 1990)
En effet, le paradigme de la complexité « remet en cause le principe selon lequel l’essentiel se trouve dans le simple et que la connaissance de la réalité doit être la plus simple possible » (Munné, 2022), par le biais d’une pensée critique qui remet en cause les postulats.
Selon Morin, la complexité est un dialogue qui s’opère à trois niveaux, à savoir : « ordre/désordre/organisation. » (Morin, 1990)
Le monde autour de nous apparait organisé et stable. Or, derrière cette stabilité et organisation apparentes, il y avait le désordre qui a été précédé par l’ordre. Ces trois instances vont se fusionner pour ne former qu’une seule entité.
Ainsi, la complexité est considérée « comme principe de la pensée qui considère le monde, et non pas comme le principe révélateur de l’essence du monde. » (Morin, 1990)
Nous vivons dans un environnement turbulent où l’incertitude est partout, à commencer par la remise en cause des principes de la science dite « classique », incertitude qui nous entraine dans un mouvement turbulent, dans « une turbulence des idées qui n’est pas seulement le reflet du réseau mondial. Et la pensée scientifique agit à nouveau sur la société et produit un big bang de connaissances » (Da Conceição De Almeida, 2008), au profit de sa réorganisation, devant faire face à la complexité.
Face à cet état des lieux, l’interdisciplinarité serait-elle une réponse à la complexité ?
L’interdisciplinarité : objet à la mode ou choix méthodologique ?
L’interdisciplinarité (interdisciplinarity) n’est pas une quête nouvelle; l’Homme a toujours convoité un savoir encyclopédique. Cet acharnement remonte au moyen âge, voire à l’antiquité. 
Dans une conception classique, chaque discipline se distingue des autres disciplines sur la base de l’objet de la recherche, de méthodes et d’un système conceptuel qui lui est propre. Or, avec le développement des différentes disciplines, et avec l’apparition de nouvelles disciplines et de sous-disciplines, un transfert s’effectue d’un champ d’investigation à un autre, même entre des disciplines qui semblent antagonistes.
Dans cette perspective, il est possible qu’une « science globale », une pensée complexe émerge tout en étant capable « d’associer les domaines isolés de la connaissance ». (Tellez, 2009)
Cette pensée est possible et elle est même réaliste du moment qu’elle est capable de tisser des liens dans des domaines distincts voire opposés ; à titre d’exemple la biologie et la physique voire la biologie et la sociologie, par le biais d’un « pont méthodologique » qui facilite  l’emprunt des méthodes des sciences dites « solides », et un pont théorique où se fait l’échange ou l’emprunt d’un système conceptuel, pour dépasser même l’interdisciplinarité afin d’aboutir à la transdisciplinarité.
A l’heure actuelle, l’interdisciplinarité semble introduite en sciences de la nature, mais en sciences humaines cela laisse à désirer. Ces dernières ont tendance à suivre l’exemple des premières, convoitant la légitimité et le statut de science à part entière!
Mais, les sciences humaines, tout comme les sciences de la nature, une fois séparées et singularisées, par un objet et des problèmes qu’elles visent à résoudre, ont cessé de dialoguer, au nom d’une certaine spécialisation!
Certes, sur le plan épistémologique, la spécialisation est primordiale afin de garantir une pensée critique de ce qu’a produit la recherche scientifique en procédant à une délimitation rigoureuse de l’objet scientifique, des problématiques, une critique continue de la connaissance qui appartient au sens commun, et l’usage d’un langage spécifique.
Mais cette situation n’est pas suffisante pour l’avancée de la pensée scientifique où certaines disciplines vont prétendre qu’elles détiennent le savoir absolu et qu’elles sont plus « scientifiques » que d’autres!
Face à cet état des lieux, certaines disciplines vont se cloitrer sur elles-mêmes, pensant qu’elles ne sont pas à la hauteur du défi vu qu’elles sont dissociées des autres disciplines. Ainsi, elles ignorent leurs capacités et leurs limites.
Afin de faire face à cette situation, les sciences humaines doivent dialoguer notamment avec la philosophie, en se basant sur un raisonnement philosophique, renouvelant ainsi leur ancien lien avec cette discipline.
En effet, penser à ce que sera l’humanité à des étapes postérieures (à l’instar des premiers sociologues), fait allusion à une pensée philosophique sur l’Homme et les sociétés humaines.
Une fois que l’étape du terrain est achevée, le chercheur en sciences humaines, passe à la phase d’explication et d’interprétation. Ceci exige de sa part une capacité d’analyse, de synthèse, et de critique. Il est question également de poser de nouvelles  questions  relatives à la nature et au sens de l’action des individus dépassant ainsi toute connaissance empirique, empruntant les concepts et les conceptions de la philosophie pour les juxtaposer dans le monde social, ce qui relève enfin de compte de la sphère  de la philosophie, car cette dernière à l’instar de toutes les sciences humaines s’interroge sur « ce que veut dire être humain vivant dans telle ou telle société déterminée, sans réfléchir également à la façon dont les hommes vivent mais aussi à la conscience qu’ils prennent de leur propre existence, sans parfois aussi confronter ou opposer les deux». (Mesure, 2012)
L’usage implicite de la philosophie dans les différentes disciplines des sciences humaines ne va pas remettre en cause leur rigueur scientifique, car –qu’on le veuille ou non- le chercheur est poussé par des questionnements philosophiques, liés au sens qu’il donne à ce qu’il étudie.
Certes, le concept de l’Homme se trouve au carrefour de différentes disciplines qui dépassent le cadre des sciences humaines et peuvent s’étendre aux sciences de la nature telles que la biologie, ce qui relève en fin de compte de l’interdisciplinarité…
Morin, dans son œuvre sur les phénomènes liés à la complexité, a insisté sur « la nécessité de rapprocher les regards des diverses disciplines du savoir que le développement des sciences tend à cloisonner » (Brechet, Morin, 2012), en proposant des « ponts » ou des « passerelles » communes entre les différentes disciplines, sans oublier l’alliance entre la sphère de la recherche académique et celle du monde professionnel…
Vu la complexité et la diversité des angles d’étude des phénomènes en sciences humaines, il s’avère utile à l’heure actuelle de procéder à des études interdisciplinaires où les différentes disciplines puiseront les unes des autres les techniques, les méthodes, les concepts et les conceptions afin d’appréhender le monde social dans sa totalité.
A titre d’exemple, chez Abderrahman Ibn Khaldun se croisent l’histoire, l’économie, la sociologie et l’anthropologie ; chez Karl Marx se croisent l’économie politique, l’histoire et la philosophie ; chez Claude-Lévi Strauss se combinent la linguistique et l’anthropologie. 
Nous irons même plus loin en affirmant qu’il existe des spécialités qui n’auraient vu le jour si elles n’avaient pas réuni plusieurs disciplines, telles que les sciences de l’information et de la communication et l’orthophonie…
Ceci exige en premier lieu qu’il y ait des spécialistes ayant contribué à l’avancée de la pensée scientifique dans leur propre domaine. Ensuite, il faudrait qu’ils ressentent le besoin méthodologique pour recourir à ce genre de « fusion scientifique », en échangeant les connaissances, les prémisses et les bases méthodologiques spécifiques à chaque champ de recherche.
Or, le recours à ce type d’études doit être un choix méthodologique fondé, et non pas par désir de développer la connaissance en elle-même.
Il faudrait trouver un terrain d’entente et de dialogue (dialogue) entre les différents courants de pensées et même antagonistes et un langage commun qui puisse expliquer les phénomènes étudiés avec toute leur diversité, dans une optique holistique.
Or, le chercheur ciblant une étude interdisciplinaire doit être prudent dans sa démarche mais en même temps ouvert sur les autres disciplines. Aussi, il doit être convaincu de l’idée selon laquelle il ya une possibilité d’emprunter les outils méthodologiques et les méthodes de réflexion de spécialités différentes et même antagonistes.
Ceci exige le dialogue entre les différentes disciplines et la « tolérance » à l’égard des divergences des avis, voire sur la réalité sociale avec toute sa complexité.
Il existe un principe dialogique qui est défini par Morin et Jean-Louis Le Moigne, comme étant celui qui « unit les deux principes ou notions antagonistes qui apparemment devraient se repousser l’un l’autre, mais qui sont indissociables et indispensables pour comprendre une même réalité. » (Darbellay, 2011)
Le principe de dialogue implique qu’il faut penser en même temps à l’unité et à la diversité, deux visions qui paraissent antagonistes en premier lieu mais qui sont en fin de compte complémentaires sans que l’une ne nie l’autre, passage qui s’opère dans les deux sens, sans éliminer les dissemblances entre les deux.
Ces sont là les mécanismes requis afin de stimuler le dialogue entre les diverses disciplines, dans le cadre de l’interdisciplinarité, dans une logique intégrative plus que collaboratrice.
Mais à l’heure actuelle, les études interdisciplinaires souffrent de l’absence d’un cadre institutionnel qui les chapote, du fait même de la spécificité de l’université qui n’encourage pas –du moins pour le moment- ce genre d’études.
Sur le plan institutionnel, l’interdisciplinarité n’est pas envisageable par les universités, qui sont bifurquées en facultés, en départements, en branches…
Afin de faire face à cette situation, il faudrait en premier lieu établir une collaboration et une complémentarité entre les différentes disciplines qui se concrétisent par les rencontres scientifiques qui durent dans le temps, afin de construire une méthodologie et un langage communs, sinon on tombera tout simplement dans la pluridisciplinarité.
La fin du 19e siècle représente une étape décisive dans l’histoire de la Science ; en 1930, José Ortega y Gasset parle de « la barbarie du « spécialisme » qui caractérise « l’Homme scientifique » qui est « reclus dans l’étroitesse de son champ visuel », « intellectuellement moyen » » (Laflamme, 2011), en tant que « spécialiste ».
Ce spécialiste du 20e siècle méprise toute connaissance antérieure et n’a affaire qu’avec une science « fragmentée » vu que désormais elle est accessible à une masse de techniciens, qui maîtrisent des « méthodes comme avec une machine et il n’est pas même nécessaire pour obtenir d’abondants résultats de posséder des idées rigoureuses sur leur sens et leur fondement » (Gasset, 1937), ignorant toute connaissance à l’extérieur de leur champ.
Or, « toute spécialisation n’est pas unidisciplinaire » (Gasset, 1937). En fait, il ya un aller-retour entre études monodisciplinaires et interdisciplinaires où l’une et l’autre s’interpellent, communiquent, se croisent, divergent, se décomposent et se reconstruisent.
Certes, bien qu’il y ait une diversité des conceptions de l’interdisciplinarité, nous pouvons les réunir dans deux tendances, sur le plan sémantique. 
La première est celle qui concevait l’interdisciplinarité « en mettant de l’avant le concept de coopération [Cooley, …]; l’autre courant […] utilise plutôt le mot intégration [Klein, Dussault, Leclerc, etc.]. » (Payette, 2001)
En nous ralliant à un bon nombre d’auteurs, nous concevons l’interdisciplinarité plutôt comme intégration des outils, des méthodes et des concepts d’au moins deux disciplines, afin de résoudre un problème complexe.
Sur la base de ce qui a été évoqué ci-dessus, il s’avère que le recours à des études interdisciplinaires doit être un choix méthodologique, basé sur des arguments scientifiques soigneusement étudiés dans le but de faire avancer la pensée scientifique, en prenant en considération les capacités et les limites de chaque discipline.
La sociologie ciblant l’étude des systèmes sociaux complexes, doit s’inscrire dans une perspective interdisciplinaire.
La Sociologie face à la complexité
Le 20e siècle est considéré comme le berceau de la macrosociologie où les plus importantes théories sont nées. Ces dernières ont eu le mérite de fournir une vision holistique de l’évolution des sociétés, par le biais d’un système conceptuel qui leur a donné cette harmonie tant convoitée par les penseurs « aux temps postmodernes ».
Les premiers théoriciens en sociologie se sont penchés sur la formulation d’un cadre théorique qui puisse interpréter l’évolution des sociétés et les phases de transition d’un stade à un autre. De ce fait ils ont négligé l’interprétation des changements « microscopiques ».
Par ailleurs, il y a une distinction fautive qui se fait entre les études microscopiques et les études macroscopiques. Le critère de la taille de la population n’est pas un facteur de distinction décisif.
En effet, Raymond Boudon a recherché « les fondements microsociologiques de ces structures macrosociologiques et il modélisait en conséquence le comportement des individus » (Bouvier, 2006), où il est rejoint par un bon nombre de penseurs qui optent pour un « programme passerelle », concevant le conflit entre la macrosociologie et la microsociologie comme un faux débat.
Boudon représente avec grandeur cette perspective, ce qui lui a valu une reconnaissance internationale, en tant que sociologue de tout premier plan.
Dans son livre « L’inégalité des chances » publié en 1973, il remplaça son « individualisme méthodologique » par « l’actionnisme, le terme étant trop emprunt selon lui de confusion ». (Gay, 2004)
Et même si les études sociologiques se veulent à l’heure actuelle microscopiques, on ne peut se passer d’un cadre théorique référentiel, puisant ses explications des théories macroscopiques, ne serait-ce que partiellement. 
Certes, il s’avère que la macrosociologie n’est plus capable de comprendre et d’expliquer les changements qui s’opèrent à petite échelle, au niveau des relations entre les individus qui sont en interaction les uns avec les autres, s’intéressant plutôt au « problème du devenir de l’humanité » (Grawitz, 2005), ce qui exigeait une explication holistique des changements que vivait l’humanité à une échelle planétaire.
Mais, chaque société (ou un ensemble de sociétés) a un mode de vie et un rythme de production spécifiques qui vont engendrer à leur tour des changements sociaux propres à chacune d’elles.
Après la prise de conscience de ces particularités, nous sommes bien loin d’une théorie générale de l’Homme, où les théories sociologiques actuelles « se limitent à des portions de la réalité très réduites et sans lien entre elles » (Grawitz, 2005), sur la base d’une micro-analyse qui ne peut appréhender l›holistique, et néglige par conséquent l’apport des théories qui s’appuieraient sur des buts généralisables.
Ce revirement a eu des répercussions méthodologiques sur le plan épistémologique, théorique, morphologique et technique.
Selon certains penseurs, le passage de la macrosociologie à la microsociologie explique la faible cumulativité de la sociologie, situation accentuée par « un pluralisme sociologique » (Dubet, 2011), dans la mesure où il y a spécialisation de ce domaine en sous-domaines.
Par contre, d’autres penseurs, expliquent que les faiblesses de la sociologie « tiennent moins à son pluralisme et à sa structure intellectuelle et scientifique qu’à son faible niveau d’organisation et de maîtrise d’elle-même, qu’à sa place dans l’espace universitaire, à ses « mœurs » et à la responsabilité des sociologues. » (Dubet, 2011)
En outre, lors de la constitution de son champ et dans la quête de son autonomisation, la sociologie convoitait le modèle des sciences de la nature. Puis, en se développant, elle se penchait sur les enquêtes sociales, au profit du terrain, tout en étant impressionnée par ses démarches et ses résultats, sans s’appuyer sur des questionnements théoriques. Ceci a eu un impact sur l’analyse des résultats, qui ne se réfèrent plus à des théories, où ces dernières en principe orientent et stimulent ce processus.
En plus du retrait des études théoriques, il ya en outre un manque d’initiative dans le domaine des études exploratoires qui se caractérisent par un terrain vierge ou peu étudié, et qui au préalable ne s’alimentent pas d’une théorie mais visent plutôt la construction de nouvelles théories, en empruntant un raisonnement inductif.
Il faut ajouter, qu’à l’heure actuelle, il ya une multiplicité voire « une dispersion » des études sociologiques qui ne s’appuient pas sur l’analyse philosophique, au profit d’une certaine spécialisation réfutant tout dialogue avec les autres disciplines, notamment avec la philosophie. Ceci a engendré une faiblesse au niveau d’un maillon de la chaine, à savoir l’absence de la perspective holistique.
C’est après une domination des théories générales en sociologie qu’il ya eu un changement de paradigme (paradigm). Ce dernier est lié à « la logique du discours » (Morin, 1990), comme un rapport de force, où il ya une préférence vis-à-vis de certaines relations logiques, contre d’autres qui sont de ce fait niées.
Il ne faut pas oublier que lors de la constitution d’une discipline, il ya beaucoup de débats autours de questions épistémologiques, morphologiques, théoriques et techniques, et la sociologie ne fait pas l’exception!
En effet, beaucoup de questions ont été posées et le sont toujours aujourd’hui. Elles ont pris la forme de conflits de paradigmes, entre les dualités : quantitatif /qualitatif, individualisme méthodologique/holisme, positivisme/constructivisme, etc.
À partir des années 1960, de nouveaux phénomènes apparaissent, structurant et restructurant le paysage de la vie quotidienne (daily) en continu, sans que les chercheurs en sociologie n’y prêtent attention!
Nous sommes en face de nouveaux phénomènes qui se manifestent dans la vie quotidienne marquée par un perpétuel changement et par une complexité des phénomènes observés. 
C’est après que les études sociologiques soient longtemps focalisées sur la structuration sociale (structuralisme) et sur l’ordre (fonctionnalisme), qu’elles se sont ensuite intéressées à l’individu et aux interactions sociales dans la vie quotidienne, avec tous les phénomènes qu’elle engendre, par le biais de nouveaux courants de pensée, tels que l’ethnométhodologie et l’interactionnisme symbolique.
La sociologie interprétative est apparue aux USA, remettant en cause le paradigme fonctionnaliste.
En parallèle, de nouveaux courants se sont développés dans les pays anglo-saxons, ensuite dans les pays germanophones et en dernier lieu en France, après la régression du structuralisme à la fin des années 1970.
Ensuite, la pensée post-moderne a eu le mérite de remettre en cause le système de pensée universel, suite au progrès technique qu’a connu les sociétés occidentales, en étant sceptique quant aux principes de la modernité. Dans cette optique, la modernité ne peut faire face aux profondes mutations qu’ont connues les sociétés occidentales, en étant dans l’incapacité de les expliquer.
Cette pensée post-moderne nie l’existence de systèmes de pensée fermés et réfute l’existence d’une seule théorie capable d’expliquer la réalité avec toute son ambiguïté ; une posture qui a eu des répercussions sur la pensée sociale.
Depuis les années 1980, la sociologie contemporaine témoigne 
 La coexistence de multiples tentatives de dépassement des anciens clivages notamment celui qui opposait la conception du social comme « totalité », déterminant les conduites individuelles (« holisme »), et l’appréhension du social comme « agrégation des conduites individuelles », résultat émergent de ces actions « individualisme »). (Dubar, 2022)
Mais au-delà de tout holisme ou individualisme, les recherches en sciences humaines se sont multipliées et développées où un bon nombre d’entre elles se sont inscrites dans une logique interdisciplinaire, répondant à des fins méthodologiques, faisant appel au dialogue entre les différentes disciplines, dans un environnement : social, technique, scientifique complexe, mais aussi turbulent où s’entremêlent les dimensions : sociale, communicationnelle, économique, politique, etc.
Il est à noter que « la diversité des disciplines est indispensable pour comprendre les processus multi-échelles, et surtout multi-domaines (écologie, technique, politique). Elle a une fonction variable selon la complexité du sous-système étudié. » (Baudry, Alignier, Thomas, 2017)
Sur la base de ce constat, et puisque la sociologie cible désormais l’étude de la complexité – en attribuant aux systèmes sociaux le caractère de systèmes complexes- l’interdisciplinarité est conçue comme une exigence méthodologique. Mais, elle est devenue une exigence non pas seulement du fait du nouvel objet de la sociologie, mais aussi comme « une volonté de jeter des ponts entre les explications qui découlent des découpages successifs de la vie sociale, par exemple, qui ont conduit à la définition des objets des différentes disciplines scientifiques. » (Hamel, 1995)
L’objet de la sociologie s’est transformé depuis le 20e siècle, car les problèmes vécus et auxquels les sociologues devaient y répondre sont aujourd’hui différents ; ils sont devenus complexes, d’où l’urgence d’études interdisciplinaires (interdisciplanary studies) qui prennent en considération les différentes dimensions du phénomène social étudié.
Afin de comprendre la complexité des systèmes sociaux tout en échappant au réductionnisme du social, il faudrait considérer « les individus comme immergés dans un environnement social, l’accent est mis sur la nécessité de prendre en compte les capacités cognitives de ces derniers ainsi que l’aspect dynamique de leurs interactions » (Chavalarias, 2007), afin de combler les lacunes des visions holiste et individualiste. 
A l’heure actuelle, la sociologie à elle seule ne peut plus expliquer les phénomènes sociaux qui sont devenus complexes. En effet, il ya des phénomènes –en l’occurrence les phénomènes organisationnels- qui ne peuvent être expliqués qu’avec un dialogue qui s’opère entre plusieurs disciplines, à savoir, entre la psychologie, la psychologie sociale, les sciences de l’information et de la communication, la science économique et la sociologie. A cet effet, la théorie de la complexité se propose « d’expliquer en partie comment des systèmes organisés émergent de situations chaotiques. » (Sammut-Bonnici, 2017)
Dès lors, les organisations (organizations) - comme espace d’émergence de phénomènes sociaux et culturels - ne sont plus considérées comme de simples entités sans dynamique propres à elles, mais comme des systèmes complexesconstitués d’éléments hétérogènes : ressources humaines et financières, équipements, structures ayant chacune une ou plusieurs finalités, des interfaces avec des clients, fournisseurs, concurrents, etc.
Ceci exige « une vision ou une étude à multi-échelles » (Maldonado, 2009) ; le processus de l’explication du fonctionnement du système se rapporte à différents niveaux. En outre, ces derniers sont indissociables dans un processus qui engage tous les éléments, les liaisons, la multiplicité et d’innombrables relations et d’interactions possibles…
Les spécificités et les contours d’un problème complexe font que son étude « dépasse le domaine d’étude d’une discipline, et que l’étude de problèmes complexes nécessite des recherches interdisciplinaires » (Camacho, 2012), à partir d’un dialogue qui réunit plusieurs spécialités, chacune contribuant à l’appréhension du problème étudié.
Concrètement, comment doit-on procéder ?
Il s’agit de travaux qui se font séparément, ensuite, « ils identifient leurs complémentarités afin de les intégrer dans un objectif plus large. » (Camacho, 2012)
En effet, c’est la complémentarité entre les différentes approches qui va mettre en lumière la complexité du problème social étudié, et par le même biais la complexité des sciences, faisant appel à une méthodologie générale.
L’être humain n’est pas une entité isolée du reste du monde ; il fait des échanges avec le système social auquel il appartient, et avec son environnement, sous forme d’entrées (inputs) et de sorties (outputs), où les interfaces entre les systèmes se discordent et s’entremêlent.
Dans cette optique, on parle « d’ouverture des sciences sociales » (Maldonado, 2009), où il n’est plus possible d’expliquer un phénomène (par exemple de communication ou de conflit) sans l’apport « intime » de différentes disciplines.
Vu la complexité des phénomènes sociaux, il ya des synthèses qui s’opèrent au niveau de plusieurs disciplines, impossibles jusqu’alors. A titre d’exemple, les sciences cognitives qui se sont constituées dans une approche pluridisciplinaire englobant plusieurs disciplines, telles que la linguistique et la psychologie, mais aussi des synthèses qui s’opèrent dans une perspective interdisciplinaire. A ce titre, on met le point sur l’alliance entre la sociologie et l’anthropologie, et entre la sociologie et les sciences économiques.
En ce qui concerne le dialogue important entre la sociologie et l’anthropologie, les études se sont inscrites dans l’interdisciplinarité, depuis que l’espace du travail a été appréhendé comme partie intégrante de la vie de tous les jours, où il est spécifié comme un espace de construction de relations sociales. En outre, dans cette sphère, sont utilisées les techniques de collecte des données de la sociologie et de l’anthropologie (telles que l’observation participante et l’entretien).
Quant à la relation entre la sociologie et la science économique, elle se nourrit de la conception nouvelle des organisations en tant que systèmes complexes.
La particularité de la science économique laisse entendre qu’elle repose sur l’étude des comportements des agents économiques qui sont en interaction, et qui prennent des décisions économiques selon un choix rationnel et calculé.
A ce titre, la sociologie des organisations - qui est à l’intersection de plusieurs disciplines, telles que la sociologie des entreprises, la sociologie du travail, l’économie de l’entreprise…- se focalise sur les interactions des organisations avec leur environnement (économique, social, culturel…). 
Cette notion d’organisation, d’un point de vue sociologique, renvoie à la facette économique du concept d’organisation, du moment qu’elle s’intéresse à la satisfaction des besoins et à l’atteinte des buts qui requièrent une affectation rationnelle des ressources rares dans la sphère économique.
La définition de l’organisation s’appuie également sur les mécanismes de coordination qui sont primordiaux pour atteindre l’efficacité escomptée.
Le terme organisation revêt diverses formes : l’entreprise, l’administration, l’association, etc… dont la finalité diffère d’une organisation à autre.
L’entreprise, à titre d’exemple, repose sur des dimensions d’ordre économique, social, juridique, culturel……
La science économique, par sa méthode est spécifiée comme une branche des sciences humaines. Elle se focalise sur la production des biens et des services utiles aux individus. Dans ce sens, elle a une visée sociale du moment qu’elle cible la satisfaction des besoins des individus. De surcroît, elle s’intéresse à l’étude des comportements humains. L’intérêt porté aux besoins sociaux des individus a fait l’objet de plusieurs recherches en la matière. On peut citer, à titre d’exemple, les travaux d’Elton Mayo sur le travail en groupe et ceux d’A.Maslow sur la hiérarchie des besoins des individus….
En d’autres termes, cette discipline se préoccupe des actions des individus dans diverses situations économiques, dans le cadre de sa problématique majeure, consistant à faire des choix rationnels pour faire face aux besoins illimités et à la rareté des biens économiques pour les satisfaire.
Pour toutes ces raisons, la science économique et la sociologie sont considérées  comme des disciplines complémentaires et indissociables, d’où la nécessité d’une  démarche interdisciplinaire pour atteindre  l’efficacité escomptée par les chercheurs  en  sciences humaines notamment dans le cadre d’un environnement turbulent, qui  requiert plus que jamais des compétences diverses et  des méthodes  d’investigations  modernes et actualisées permettant ainsi de s’adapter aux aléas de la conjoncture.
Maintenant, nous allons donner un exemple sur la complexité de la réalité sociale, où cette dernière ne peut être appréhendée qu’en mettant en évidence son caractère multidimensionnel. Dans cette optique, la santé est considérée comme une réalité complexe ; elle est l’objet de la médecine. Mais, c’est un terrain qui est aussi partagé par la sociologie et précisément la sociologie de la santé, la psychologie, l’anthropologie, la science économique, et la philosophie.
Concernant le rapport entre la santé et la sociologie, il se manifeste par l’appréhension des phénomènes liés à la santé et à la maladie comme une réalité sociale.
Quant au rapport qu’établit l’anthropologie avec la santé, il se manifeste par la prise en compte des représentations et des pratiques populaires qui ont trait à la maladie et à ses remèdes, portant un intérêt particulier aux guérisseurs et au shamanisme, en tant qu’ancienne pratique médicale qui subsiste encore dans quelques sociétés de l’Asie centrale et dans l’Amérique latine, appréhendé comme un espace symbolique véhiculant un ensemble de représentations sur l’univers et sur l’homme.
Le rapport qu’entretient la psychologie avec la santé est différent ; Joseph Dominic Matarazzo définit la psychologie de la santé comme « la synthèse des contributions éducative, scientifique et pratique de la psychologie à la promotion et au maintien de la santé, ainsi qu’à la prévention et au traitement des maladies et des dysfonctionnements associés ». (Dantzer, 2023)
Venons aux interfaces qui existent entre la science économique et la santé ; les soins de la santé sont envisagés en tant que biens marchands, où il est question d’étudier « le secteur de la santé, producteur de biens et services répondant à des besoins. » (Introduction à l’économie de santé, 2023)
Enfin, le rapport qu’établit la philosophie avec la santé tourne autour des problématiques et des différents enjeux (existentiels mais aussi sociaux) liés à la santé et à la maladie. Toutes ces interfaces montrent bel et bien la complexité de la réalité sociale, en mettant en relief la multiplicité de ses dimensions.
L’heure actuelle témoigne la nécessité d’un dialogue entre les sciences en général et les sciences humaines en particulier, notamment entre la sociologie et la philosophie dans le cadre d’un échange mutuel où la philosophie serait 
Informée des résultats acquis par la sociologie, [et qu’elle] puisse se trouver en mesure de nourrir sa propre démarche réflexive et où la sociologie, à l’inverse, puisse se sentir légitimée à emprunter schèmes et concepts philosophiques pour produire sa propre vision du monde social. (Mesure, 2012)
La sociologie n’aurait pu se développer si elle n’avait pas su tirer partie de la philosophie, mais aussi de la psychologie, l’anthropologie, les sciences économiques, et les études linguistiques…, à travers divers courants de pensée, qui étaient complémentaires et même antagonistes. Ceci a contribué à l’émergence de la sociologie contemporaine.
Il faut savoir que la « complicité » de la multiplicité des dimensions qui peuvent expliquer le « social » n’est pas une faiblesse de la discipline. Au contraire, cela prouve qu’il ne peut exister une seule et unique théorie comme modèle hégémonique, au-delà du vieux rêve qui convoitait l’établissement de lois générales de l’action sociale.
Or, il ne faut pas que la sociologie s’inscrive dans les recherches interdisciplinaires par ce qu’elle apparait « fragile sur les plans théoriques et méthodologiques » (Hamel, 2018). Ainsi, elle risque de se retrouver dans une position inférieure par rapport à d’autres disciplines avec lesquelles elle sollicite la collaboration et surtout l’intégration, dans un rapport de force asymétrique, où elle devient dominée par celles qui paraissent à l’encontre fortes, sur les plans théoriques et méthodologiques. Cet état des lieux traduit les rapports de force et de domination, nourris par les intérêts, au-delà de tout statut scientifique.
Malaina Alvaro conçoit la sociologie comme un paradigme, une science des systèmes complexes, mettant la liaison entre la sociologie et la complexité.
L’auteur définit la sociologie comme l’étude de la réalité sociale qui est le résultat de l’interaction des individus avec le système social, comme « un phénomène non linéaire d’émergence globale, à partir d’interactions locales entre individus, un phénomène (…) de complexité » (Malaina, 2012), capable de s’adapter aux différents changements.
L’auteur affirme que la notion de complexité relevant du champ de plusieurs disciplines est problématique, mais la définit comme «le comportement d’un système dynamique, situé entre l’ordre et le chaos, entre l’ordre prévisible et le chaos imprévisible, entre l’ordre stable qui retient l’information, et un certain désordre et instabilité qui permette la création de nouvelle information, et donc le changement et l’évolution, un espace bien défini où la computation d’information atteint son maximum, et où l’interaction entre les parties qui le forment produit des structures ou des fonctions émergentes non réductibles aux parties». (Malaina, 2012)
A ce titre, donnant l’exemple de la colonie de fourmis, l’auteur révèle que le fonctionnement social des fourmis ne peut être généralisé par l’étude du comportement individuel des fourmis prises chacune à part. Donc, la complexité des systèmes (prenons en considération les systèmes sociaux complexes) se manifeste par une causalité non-linéaire, par leur capacité d’auto-organisation et d’adaptabilité, convoitant l’équilibre, ayant une robustesse qui assure leur survie et leur évolution, même si certains de ses composants disparaissaient, en étant en permanence interaction avec son milieu.
Conclusion 
Ce papier a fait l’objet d’un débat sur les conditions d’existence de la sociologie, qui étudie les systèmes sociaux complexes, en prenant en compte la multiplicité des dimensions afin de saisir la réalité sociale dans sa complexité. 
Cet objectif ne peut être atteint que par le biais d’une démarche interdisciplinaire, qui, en aucun cas, remet en cause le statut et la légitimité de la sociologie en tant que science à part entière.
Face à la complexité, les différentes disciplines deviennent désormais indissociables, profitant ainsi des apports méthodologiques, théoriques, morphologiques et techniques des unes et des autres.
Dès lors, l’établissement de dialogue entre les différentes disciplines est la seule issue afin de saisir la complexité des phénomènes sociaux, notamment dans un environnement turbulent et instable requérant des compétences interdisciplinaires; l’interdisciplinarité est une réponse à la complexité.  
L’interdisciplinarité ne doit pas être envisagée comme un éclatement des connaissances, mais bien au contraire, elle s’apparente à une construction de la connaissance, dans une perspective plutôt intégratrice, que collaboratrice.
Cet article constitue une piste de recherche future pour les sociologues pour que la sociologie réfléchisse sur elle-même, loin d’une vision moniste afin qu’elle progresse, en modifiant son objet et en jetant les ponts entre les différentes explications de la réalité sociale, où le Social et l’Humain doivent être pensés dans leur globalité qui est en perpétuel changement.
 
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Lamia Mortad-Nefoussi / Jinane Mortad, «Penser la complexité avec la sociologie »

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Papier : 273-285,
Date Publication Sur Papier : 2024-12-24,
Date Pulication Electronique : 2024-12-24,
mis a jour le : 24/12/2024,
URL : https://revues.univ-setif2.dz:443/revue/index.php?id=10396.