Rôle de l’anaphore dans la cohérence du discours politique français
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Rôle de l’anaphore dans la cohérence du discours politique français

Nadji KHATTAB
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يعالج هذا المقال والموسوم ب " دورالإحالة (الاشارية) في اتساقالخطاب السياسي الفرنسي" آلية الإحالة الاشارية وأبعادها اللغوية واللسانية وكذا وظائفها في النص السياسي. لذا حاولنا طرح إشكالية مزدوجة: كيف يعمل نظام الإحالة لسانيا النص؟ هذا من جهة. ومن جهة أخرى، كيف يمكن للإحالة بناء المعنى في النص؟لهذا الغرض، واستنادا الى مدونة مكونة من عدة خطابات سياسية، حاولنا طرح تحليل يهدف إلى تسليط الضوء على السلاسل الاحالية في الخطاب.

كلمات مفتاحية: الإحالة، الخطاب السياسي، الاتساق، الانسجام

L’objectif du présent travail est la mise en relief de l’anaphore, de ses types et de son fonctionnement dans les textes politiques français. Notre problématique s’interroge sur les différentes manières dont se manifeste ce système linguistique dans un contexte de discours politique et comment cela peut servir à constituer des réseaux sémantiques assurant au texte une certaine cohérence. Pour ce faire, nous avons procédé à un dépouillement manuel ayant pour objectif de repérer les chaînes anaphoriques dans un corpus construit d’un nombre important de discours officiels des présidents français sous la 5ièmeRépublique.

Mots-clés : anaphore, discours politique, cohérence, cohésion

The purpose of this article is the anaphora highlight of this types and its use in the French political texts. Our problem is to know the different ways it manifests linguistic system in a context of political speeches and how it can be used to build semantic networks ensuring coherence to the text. To do this, we proceeded to the manual counting with the objective of identifying anaphoric chains in a corpus of official speeches of presidents in the 5th French Republic.

Keywords:anaphora, political speech, coherence, cohesion

Introduction et problématique

L’anaphore est un phénomène fort présent dans les genres discursifs. Elle pourrait faciliter la compréhension et l’interprétation des produits textuels,et ce à travers le repérage des chaines anaphoriques qui s’y manifestent. Cecipermettrait d’harmoniser toute production discursive (orale ou écrite) de tellefaçon que soit clair le discours que l’on produit ou l’on prononce.Nous allons rendre compte, dans cet article, de l’anaphore d’unpoint de vue linguistique, à travers la problématique suivante : comment l’anaphore sert-elle à établir et à assurer la cohérence et la cohésion textuelles dans les discours de type politique ?Pour répondre à cette question,nous avons focalisé notre analysesur un corpus construit de discours politiques officiels des présidents sous la 5èmeRépublique française.En effet, seront étudiés l’anaphore, ses types et son fonctionnement dans un contexte de corpus à genre politique. Ne serait-ce alors qu’une étude à travers laquelle nous essaierons de voir la manifestation de l’anaphore et son incidence dans un genre de discours particulier (les discours politiques sous la 5èmeRépublique) ;comment cette manifestation peut contribuer à construire le sens dans les textes politiques par la constitution de réseaux anaphoriques permettant de générer une certaine cohérence discursive ?En nous limitant à l’étude de l’anaphore fidèle dans certains discours politiques des présidents sous la5èmeRépublique française, nous subdivisons l’article en trois points essentiels. D’abord, nous avançonscertaines lectures définitionnelles de la notion d’anaphore de point de vue double, grammatical et linguistique. Enfin, est établi un essai analytique pour but de rendre compte de la manifestation de l’anaphore fidèle et deson (ses) incidence (s) en rapport avec la nature du corpus susmentionné.  

1.               L’anaphore entre grammaire du texte et théorie de l’énonciation : considérations définitoires

La tradition grammaticale considère l’anaphore « comme toute reprise d’un élément antérieur dans un texte »[i]. Dans leur article intitulé Le fonctionnement des anaphores dans les textes oraux et écrits en français d’enfants bilingues et monolingues, Decool-Mercier Nathalie et Akinci Mehmet-Ali avancent :

Pour la grammaire traditionnelle, la catégorie anaphorique ne peut être abordée que par l’étude des définitions des pronoms et déterminants. Cependant, cette étude ne mène pas à une vision unifiée des anaphores puisque la langue n’est pas ici considérée comme système (au sens de la linguistique structurale) et que les parties du discours sont étudiées de façon juxtaposée [ii].

 

L’anaphore est liée au fonctionnement des systèmes linguistiques qui se manifestent dans les langues naturelles. Decool-Mercier et Akincifont état de deux systèmes : système des pronoms et système des déterminants.

D’un côté, les pronoms servent à introduire une coréférence :

[1] Le chercheura soulevé une problématique importante. Il a contribué efficacement à la recherche scientifique.  

Le pronom personnel « IL » entretient une relation anaphorique avec (LE CHERCHEUR) dans cet exemple. Autrement dit, la relation anaphorique est introduite syntaxiquement par un jeu pronominal.

Aussi, la détermination en français, en qualité de système grammatical et linguistique, peut avoir, elle aussi, un rôle anaphorique dans les structures de langue :

 

[2]En rentrant chez moi le soir, j’ai vu UN chat. LE chat était noir.

[3]Chirac a essayé d’appliquer de nouvelles lois. CET homme politique est connu par sa détermination et son sérieux.

 

Dans l’exemple [2], est établie une relation anaphorique fidèle [iii] entre UN chat et LE chat, car il est question du même référent. Quant à l’exemple [3], on a introduit un démonstratif (CET) pour établir une substitution lexicale (Chirac=Cet homme politique), et donc une relation anaphorique entre les deux segments s’est imposée. La relation anaphorique en question est repérée dans l’article démonstratif que dans la substitution proprement dite. L’anaphore peut donc être exprimée par ces deux manières, qui ne sont pas, d’ailleurs, les seules.    

Dans une perspective fonctionnelle, l’anaphore sert à éviter une répétition au niveau des termes constituant la phrase ou l’énoncé :

On adopte parfois une perspective fonctionnelle sur l'anaphore, consistant à dire, d'une manière ou d'une autre, que l'anaphore nous dispense de répéter des termes déjà mentionnés dans un contexte [iv]

   Retenons les exemples suivants :

[4]L’enseignant donne des consignes à ses apprenants.

[5]L’enseignant veut que ses apprenants soient actifs.

Si l’on doit faire appel à l’anaphore pour constituer une seule phrase, on aura :

[6]L’enseignant donne des consignes à ses apprenants. IL veut qu’ILS soient actifs.

Du point de vue de la grammaire textuelle, l’anaphore est définie en fonction du discours dans lequel elle existe, une fois une relation entre deux parties de ce discours est dévoilée :

La théorie textuelle de l'anaphore impose la notion de texte comme élément central dedéfinition. Ainsi Ducrot et Todorov 1972: 358définissent-ils l'anaphore en termesd'interprétation. Ils considèrent en effet qu'«un segment de discours» est anaphoriques'il faut se reporter à une autre partie de ce même discours pour lui donner uneinterprétation[v].

L’anaphore ne peut donc avoir d’interprétation en dehors du texte dans lequel elle est opérée :

L'anaphore est donc un phénomène de dépendance interprétative de deux unités, dont la première, à laquelle se reporte la seconde, l'anaphorique, est appelée «interprétant» (Ducrot et Todorov 1972:358), «réfèrent» (Dubois 1965, Kesik1989: 30), «antécédent», «contrôleur de l'anaphorique», ou encore «source sémantique »[vi].

L’anaphore est, en effet, considérée comme un jeu linguistique présent dans les textes. Certains spécialistes de l’analyse du discours et de la grammaire de texte estiment que ce système de coréférenciation entretient un rapport étroit avec la cohérence et la cohésion textuelles. Tout jeu anaphorique, une fois correctement repéré, aidera l’interlocuteur[vii]à interpréter convenablement et de manière logiquement acceptable les énoncés qui constituent le discours.

Cela dit, les éléments anaphoriques établissent un commandement entre deux séquences énonciatives A et B, qui sont d’ailleurs des segments de discours. Il s’agit, en effet, d’un lien de dépendance[viii].

En effet, l’importance du processus anaphorique réside dans l’enchainement et la continuité au niveau de la construction du sens dans le produit discursif. Pour ce faire, nous avons choisi la théorie de l’énonciation comme cadre théorique de cette présentation.

La théorie de l’énonciation accorde une importance majeure et réserve une place importante à l’anaphore. Elle [la théorie en question] a insisté d’abord sur le fait que l’anaphore se trouve liée à la coréférenciation. Tout élément évoqué (concerné par le jeu anaphorique) devrait avoir un référent.L’anaphore est vue par la théorie énonciative comme « un mode de structuration référentielle, parmi d’autres, d’un élément lacunaire ayant vocation de représentant »[ix].,Dans cette perspective , Michèle Perret distingue deux modes de repérage anaphorique : la détection de l’élément anaphorisé puis la recherche (ou le retour à) de son antécédent. Elle avance que « [cependant] on aura peut-être remarqué que, dans le cas de l’anaphore, la recherche du référent se fait en deux temps »[x].

L’étymologie du terme « anaphore » nous aide à déduire son sens : anaphore, d’où ana-, signifie « en arrière », « en remontant (à) ». C’est donc un renvoi à un élément antérieur, précédemment cité. Ducrot et Todorov ont défini, à leur tour, l’anaphore en termes d’interprétation : « [Ils considèrent en effet qu’] un segment de discours est anaphorique s’il fait se reporter à une autre partie de ce même discours pour lui donner une interprétation »[xi].

Cela dit, l’anaphore est conçue tel un aspect organisationnel du texte, l’un des critères générant sa cohésion, qui repose en partie certaine sur la répétition et la reprise des éléments (mots ou expressions). Autrement dit, une expression est dite anaphorique une fois qu’elle établit des relations coréférentielles avec un autre segment expressif, généralement dans la même séquence textuelle ou thématique.

Tout en voulant examiner l’anaphore d’un point de vue énonciatif et voir l’importance de sa présence dans les discours, nous avons déduit, au terme de ce deuxième point, que l’anaphore n’a pas été seulement l’objet de certaines études grammaticales, mais elle était au centre de maintes avancées scientifiques ayant pris la théorie de l’énonciation comme cadre théorique d’analyse. 

2.               Analyse de l’anaphore et des chaînes anaphoriques dans les discours politiques 

2.1.          Manifestation de l’anaphore dans les textes politiques d’investiture

Ce premier point met la lumière sur l’anaphoreen tant que système linguistique qui se manifeste dans le discours politique. Comme nous l’avons signalé, l’anaphore consiste essentiellement en la reprise d’un élément précédemment cité dans la même séquence écrite ou parlée. Nous entendons dire par séquence toute suite d’énoncés développant une ou plusieurs thématiques, tout en obéissant aux normes orales ou écrites de la langue.

Il est à noter que certaines considérations sont avancées :

1.                       L’anaphore se manifeste remarquablement dans le genre étudié, à savoir le discours politique. La présence de ce phénomène discursif avec une fréquence élevée pourra nous amener à traduire ce constat, à le repérer à l’intérieur du produit textuel et à tenter de mettre en relief ses mécanismes (linguistiques et essentiellement syntactico-sémantiques).

2.                       L’anaphore peut servir à assurer au texte une certaine cohérence et cohésion textuelles. Elle n’est pas d’ailleurs l’ultime condition qui puisse garantir ces deux dernières fonctions dans le texte. En effet, l’auteur fait appel à l’anaphore pour rendre les différents segments et séquences de son écrit bien enchainés, d’où l’intérêt de notre analysedans ce point qui porterasur la réception du texte. 

Si l’anaphore a des procédés et des dispositifs bien déterminés, ces élémentsqui seront repérés au fur et à mesure de l’analyse dans cet article, elle a également des effets. Ces derniers sont liés non seulement à la nature du genre étudié, mais aussi aux conditions de production (le contexte), appeléeségalement contraintes énonciatives. Avantdevoirles manifestations de l’anaphore dans les discours de vœux présidentiels français, nous trouvons utile d’avancer le tableau suivant, qui représente la légende des différentes initiales sous-tendantnos extraits de corpus :

Initiales

Interprétations

FH

François Hollande

NS

Nicolas Sarkozy

JC

Jacques Chirac

FM

François Mitterrand

GP

Georges Pompidou

VGE

Valéry Giscard d’Estaing

CDG

Charles De Gaulle

 

Tableau : Initiales correspondant aux noms de quelques présidents de la 5èmeRépublique

Nous avons remarqué que l’anaphore est en corrélation avec le fonctionnement des systèmes linguistiques à l’œuvre dans les discours, lesquels regroupent deux sous-catégories systémiques primordiales : système pronominal et système déterminatif. Les pronoms servent, d’une part, à introduire une référence :

[7] LA FRANCE, c'est un grand pays ; ELLE est la cinquième puissance économique du monde. (FH, 2014)

[8] Le pacte de responsabilité, je l'avais annoncé en début d'année devant vous ; il entre en application dès demain matin. (FH, 2014)

Dans l’exemple [1], le pronom personnel ELLE entretient une relation anaphorique avec LA FRANCE. De même pour l’exemple [2], une chaîne anaphorique est assurée par les deux pronoms l(e) et il. Autrement dit, la relation anaphorique est introduite syntaxiquement par un jeu pronominal. D’autre part, la détermination en français, en sa qualité de système grammatical et linguistique, peut avoir un rôle anaphorique dans les structures de langue :

[9]Je pense à cettemagnifiqueprouesse qu'a été la mise au point d'un cœur artificiel, première fois que cette technique est mise au point dans le monde. (FH, 2014)

[10]Car l'inquiétude gagne l'Europe de l'Est où l'on redoute la contagion. Comment cette inquiétude nous épargnerait-elle, nous qui, à l'Ouest, avons pourtant la chance de vivre en paix et d'avoir dépassé nos propres divisions ? (FM, 1991)

Dans l’exemple [9], est établie une relation anaphorique résomptive[i] entre cette prouesse, la mise au point d’un cœur artificiel etcette technique ; il s’agit ici d’une reprise double du même référent. Quant à l’exemple [10], on a introduit un démonstratif (CETTE) pour établir une référenciation (l’inquiétude qui gagne l’Europe = Cette inquiétude) : une relation anaphorique entre les deux segments s’est imposée. La relation anaphorique proprement dite est remarquable le plus dans l’article démonstratif que dans la substitution proprement dite. L’anaphore peut être fidèlement exprimée par ces deux manièresqui ne sont pas, d’ailleurs, les seules. D’après Corblin[ii], l’anaphore est considérée comme un outil permettant de contrecarrer les redondances de termes à l’intérieur de la même séquence discursive. Retenons les exemples suivants :

[11]Beaucoupsont heureux d'être en famille ou avec des amis pour accueillir cette année 2003, et je les salue amicalement. (JC, 2002)

[12]D'autres, je le sais, n'apprécient guère cette période de fêtes, parce que leurs soucis, leur détresse parfois, leur sont plus sensibles. Atoutes celles et à tous ceux qui sont dans l'isolement, dans la peine, dans les épreuves, je veux dire ma sympathie et ma solidarité. (JC, 2002)

[13] Mais quand la France réussit, tous sesenfants voient grandir leurchance.(CDG, 1967)

[14] Les difficultés, mes chers compatriotes, nous avons les moyens de les affronter. (NS, 2008)

Le jeu pronominal, dans les exemples [11], [12] et [13], contribue à construire des réseaux anaphoriques entre les éléments en gras. Ces réseaux anaphoriques permettent aux interlocuteurs d’agencer les particules énonciatives dans ces énoncéset d’établir des liens sémantiques logiques entre elles. L’emphase dans l’énoncé de Nicolas Sarkozy [14] a imposé à ce dernier de faire appel au pronom personnel complément les.

Les exemples ci-après [15], [16] et [17] dévoilent quelques chaînes cataphoriques :

[15]Chacun LE sait, le changement qui s'est produit ces derniers mois dans les pays de l'Est dépasse, en importance, tout ce que nous avons connu depuis la seconde guerre mondiale et s'inscrit, sans aucun doute, parmi les grands événements de l'histoire. (FM, 1989)

 

[16]Voyez, on peut LE dire, il aura fallu plus de quatre ans pour qu'on commence à se rendre compte que nous sommes sur le bon chemin. (FM, 1985)

[17] Quant à moi, que vos suffrages ont placé à la tête de l'Etat, j'ai, sachez-LE, conscience de mes responsabilités. Ces responsabilités, je LES exercerai pleinement, avec le gouvernement, qui est fort de ma confiance, et du soutien de l'Assemblée nationale que vous avez élue il y a moins d'un an. (GP, 1973)

1.2.                  Repérage del’anaphorefidèle et des procédés anaphoriques dans les discours politiques :

Selon Riegel et alii « l’anaphore fidèle est une reprise du nom avec simple changement du déterminant »[iii]. Ce déterminant peut se manifester sous différentes natures grammaticales : article défini, adjectif possessif ou démonstratif. Nous avons relevé ce type d’anaphore dans les discours de vœux dans différents endroits :

1.2.1.             Dans les discours de vœux de François Hollande :

L’anaphore est fort présente dans les discours de François Hollande.

[18]La France est donc capable de se transformer et je sais que vous y êtes prêts. Et c'est ce que nous allons faire encore en 2015. D'abord avec la loi que va présenter le ministre de l'Economie, Emmanuel MACRON, dès le mois de janvier. Elle va libérer les initiatives, casser les rentes, libérer les énergies, l'activité, développer l'emploi, simplifier la vie des entreprises tout en protégeant les salariés. Ce sera un coup de jeune pour notre société parce que cette loi, elle est surtout destinée à la jeunesse. (FH, 2014)

Dans l’exemple ci-dessus, le référent  LA LOI est repris substantivement, à une modification près : l’article défini LA a été remplacé par le démonstratif cette. Il en va de même dans les exemples ci-après : 

[19]Je salue, d'ailleurs, les partenaires sociaux qui, en début d'année, avaient réussi déjà à conclure un accord sur la sécurisation de l'emploi et, dans les derniers mois de cette année, ont conclu un accord sur la formation professionnelle (FH, 2013)

[20]  Ces valeurs, toutes ces valeurs de la République, nous les affirmons aussi dans le monde. La France est toujours au premier rang, et j'en suis fier, au service de la paix. C'est son honneur. C'est son devoir (FH, 2013)

Ce phénomène d’anaphore démonstrative peut remarquablement se manifester dans la même séquence textuelle. Un autre exemple illustre ces propos : 

[21]Mais l’Etat n’est pas le seul acteur. C’est la raison pour laquelle le gouvernement a ouvert la négociation sur la sécurisation de l’emploi. Son objectif ? Donner plus de stabilité aux salariés et plus de souplesse aux entreprises. Bref, conjurer une double peur. La peur du licenciement pour les travailleurs, la peur de l’embauche pour les employeurs. Cette négociation, si elle aboutit, sera une chance pour la France. Je fais confiance aux partenaires sociaux pour prendre leurs responsabilités. A défaut je les assumerai. (FH, 2012)

Les deux déterminants la et cette remplissent la fonction d’anaphorisantsdans ce passage, étant donné  qu’ils établissent une relation coréférentielle mettant en corrélation le référentavecson image. C’est la même fonction régie par le mécanisme de détermination qui existe entre les déterminants défini la et indéfini une. La figure suivante représente la relation de coréférenciation générée par le phénomène de détermination :

Nous entendons dire par chiralité[i]out phénomène linguistique tendant à doter deux unités discursives de la faculté d’être l’image l’une de l’autre, et par laquelles’établit dès alors un continuum lexico-sémantique permettant d’assurer une certaine concaténation dans la chaîne discursive. Les discours de l’actuel président de la République française comprennent également des expressions anaphoriques fidèles par la mise en fonction de l’article démonstratif cette : 

[22]C’est toujours au nom de ces valeurs que la France soutient en Syrie l’opposition à la dictature. Et, au Mali, les peuples africains dans leur lutte contre la menace terroriste. […] C’est l’ambition de cette France réconciliée et confiante en elle-même que je porte pour l’année qui s’ouvre. C’est cette ambition qui donne un sens à l’effort de tous. (FH, 2012)

En sus des éléments anaphoriques mis à contribution dans l’extrait précédent, François Hollande a aussi eu recours à une modalité phrastique facultative, à savoir l’emploi d’une tournure emphatique[ii] dans C’est l’ambition…que / qui. La coprésence du fait anaphorique et de la tournure emphatique permet à l’énonciateur d’insister- en employant le présentatif C’est…que- sur la prévalence de l’idée par rapport au terme qui la véhicule. La forme fléchie du pluriel a été, à son tour, attestée dans un autre contexte :

[23]Sortir de la crise, construire un nouveau modèle de croissance, faire naître une nouvelle Europe, voilà quelques-uns des défis qui nous attendent. Je veux vous dire ma conviction qu'unis avec nos partenaires européens, nous serons plus forts pour y faire face. Mais ces défis, ils s'imposent à nous. Nous ne pouvons ni les refuser, ni les repousser. Nous ne pouvons ignorer ce nouveau monde.(FH, 2012)

Dans l’exemple ci-dessous, nous remarquons la disparition de la séquence Le deuxième au profit d’une substitution opérée par la lexie ce.

[24] Le deuxième sujetest celui du financement de notre protection sociale qui ne peut plus reposer principalement sur le travail, si facilement délocalisable. Il faut alléger la pression sur le travail et faire contribuer financièrement les importations qui font concurrence à nos produits avec de la main d'œuvre à bon marché. Ce sujet est au cœur de tous les débats depuis des années. J'écouterai les propositions des partenaires sociaux puis nous déciderons. (FH, 2012)

Cette « chute » de l’adjectif numéraldeuxième est survenue par souci de contourner la redondance et permetdès lorsde préserver la continuité sémantique établie sur l’axe syntagmatique. Ces reprises confèrent a priori à ce discours une cohésion entre les séquences constituant sa texture (cohésion interphrastique).

1.2.1.             Dans les discours de vœux de Nicolas Sarkozy :

Nous avons sélectionné les passages illustrant le mieux l’exploitation des procédés anaphoriques dans ce genre discursif. Cette sélection a, de par son caractère ad hoc, tenté de mettre en relief les différents types et fonctions des chaînes anaphoriques exprimées  dans les écrits présidentiels.Dans quelques extraits de discours politiques analysés, nous avons remarqué la répétition du terme pivot[iii] au sein de la même séquence textuelle. Cette répétition a un effet sémantique qui renforce la cohésion ou l’enchaînement des sous-éléments constitutifs du texte :

[25]Depuis le début de la crise, qui en trois ans a conduit à plusieurs reprises l'économie mondiale au bord de l'effondrement, je ne vous ai jamais dissimulé la vérité sur sa gravité, ni sur les conséquences qu'elle pouvait avoir sur l'emploi et sur le pouvoir d'achat. Cette crise qui sanctionne 30années de désordres planétaires dans l'économie, le commerce, la finance, la monnaie, cette crise inouïe, sans doute la plus grave depuis la deuxième guerre mondiale, cette crise n'est pas terminée. (NS, 2011)

L’interlocuteur reçoit le passagetelle une entité indivisible, et cecompte tenu de la récurrence du mot pivot. Cette récurrence est pour le texte ce qu’est la fonction phatique pour le langage. Autrement dit, elle permet de rappeler, à chaque reprise du terme anaphorisé, l’importance de l’idée exprimée de maintenir les réseaux communicationnel, informatif et sémantique ainsi que les différents effets qu’ils pourraient engendrer sur l’allocutaire au moment où il reçoit le produit textuel.

L’anaphore fidèle peut se manifester de deux manières différentes : lexicale (reprise du terme avec changement ou chute du déterminant) ou pronominale (en faisant appel à un procédé de substitution lexie/pronom). Une telle procédure a été fréquemment attestée dans notre corpus. Nous donnons l’exemple suivant dans lequel le terme anaphorisé (des défis) est tantôt repris par des pronoms personnels sujets ou compléments (y, ils, les, les), tantôt par simple changement de déterminant (ces défis) : 

[26]Sortir de la crise, construire un nouveau modèle de croissance, faire naître une nouvelle Europe, voilà quelques-uns des défis qui nous attendent. Je veux vous dire ma conviction qu'unis avec nos partenaires européens, nous serons plus forts pour y faire face. Mais ces défis, ils s'imposent à nous. Nous ne pouvons ni les refuser, ni les repousser. Nous ne pouvons ignorer ce nouveau monde. (NS, 2011)

La pronominalisation contribue, dans ce passage, à corroborer l’enchaînement logique qui découle de l’agencement des quatre phrases constituant l’extrait sus cité. Elle offre, en outre, au récepteur de ce dernier, l’opportunité d’être à jour de l’information annoncée.Nous voulons faire cas d’une cataphore sous son aspect de pronominalisation qui apparaît dans l’exemple suivant :

[27]A chacun d'entre vous, mes chers compatriotes, j'adresse tous mes vœux de bonheur pour l'année qui vient, avec une pensée particulière pour nos soldats, séparés de leur famille, qui risquent leur vie pour défendre nos valeurs et garantir notre sécurité.(NS, 2009)

La gémination du pronom personnel atone vous et de l’expression appositive meschers compatriotes  permet d’établir une relation d’anaphorisation immédiate. Il en ressort que la chaîne anaphorique est assurée sans solution de continuité au niveau de sa structure syntaxique.De même, l’anaphore fidèle est relevée dans l’extrait suivant : 

[28]Maintenant, il nous faut travailler en priorité pour la croissance, pour la compétitivité […]. Nous ne bâtirons pas notre compétitivité sur l'exclusion mais sur notre capacité à donner à chacun une place dans la Nation. C'est pourquoi, ceux qui ont perdu leur emploi doivent être l'objet de toute notre attention (NS, 2011)

Il advient que le terme anaphorisé (la compétitivité) soit défini sans pour autant être antérieurement cité : il marque dans ce cas une  référenciation qu’on peut qualifier de déterminative. Cette substitution du déterminant possessif notre à l’article défini la n’altère aucunement le sémantisme de l’énoncé.

1.2.2.             Dans les discours de vœux de Jacques Chirac :

Tout en nous penchant sur les séquences anaphoriques fidèles se manifestant dans les discours de vœux chiraquiens, nous en analysons l’apparition et la fréquence tout en mettantla lumière surnombre de mécanismes syntaxiques ainsi que leurs effets et incidences sémantiques sur la cohésion des discours.

Jacques Chirac a eu recours, dans l’une de ses interventions votives, à la reprise systématique du vocable un monde au début de chaque phrase constituant son texte. Il s’agit d’une reprise anaphorique fidèle dans la mesure où le même terme réapparaît constamment dans les quatre séquences phrastiques :  

[29] Un mondeoù la surexploitation des ressources naturelles dérègle le climat et mettra en danger l'humanité, si nous ne réagissons pas dès maintenant. Unmonde qui n'a jamais été aussi riche et aussi pauvre à la fois. Un monde marqué par le 11Septembre, le terrorisme, la guerre en Irak, la crise au Proche-Orient, la tentation absurde et irresponsable du choc des civilisations et des cultures. Parce que j'aime passionnément la France, je me bats pour qu'elle prenne toute sa place dans ce nouveau monde tout en restant fidèle à elle-même. Je me bats pour que chaque Français, pour que chaque jeune en particulier, ait sa chance, où qu'il vive et quelles que soient ses origines. (JC, 2006)

Cette redondance, eu égard à son caractère non superfétatoire, a pour effet de maintenir un relai cohésif conférant à la séquence énonciative un acheminement sémantique ayant pour finalité de construire une signification ou une entité textuelle signifiante cohérente. Cela dit,parmi les procédés anaphoriques fidèles présents dans notre corpus, nous avons relevé la coprésence de l’anaphore lexicale et de celle dite pronominale. Nous attribuons à ce procédé l’appellation d’alternance anaphorique[iv] :

[30]Ensemble, nous allons accélérer notre action et nous inscrire dans un projet collectif. Ce projet n'est pas à inventer, il est à faire vivre, dans les principes et dans les actes : ce projet, c'est la République. (JC, 2005)

Nous pouvons remarquer que les chaînes anaphoriques permettent de produire, chez le récepteur, une actualisation immédiate de l’information.Nous remarquons aussi que l’anaphore fidèle est de mise dans d’autres passages chiraquiens. L’extrait suivant, dans lequel Jacques Chirac fait appel au démonstratif celles, présente un autre cas de figure de la manifestation anaphorique dans le texte : il reprend, dans un premier temps, le terme anaphorisé par son substitut grammatical, le pronom démonstratif celles :

[31]Je souhaite tout d'abord présenter aux Ambassadeurs des pays frappés par cet effroyable cataclysme mes très sincères condoléances, ainsi que celles du peuple français. Ce drame, la France, comme beaucoup d'autres pays, notamment en Europe, l'a vécu douloureusement dans sa chair. Je souhaite étendre ces condoléances à Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs de tous les pays dont les ressortissants ont péri ou disparu en ce jour funeste. (JC, 2005)

Dans le même extrait, le terme anaphorisé fait l’objet d’une substitution lexicale fidèle, avec simple changement de déterminant mes/ces. Cela assure une certainecontinuité inter-énonciative[v].Les exemples suivants démontrent particulièrement la manifestation de cette continuité inter-énonciative :

[32]Merci pour vos paroles qui m'ont touché, des paroles empreintes d'humanité et de sagesse. (JC, 2005)

[33]Nous devons aussi tirer les leçons à long terme de cette tragédie. Pour la prévention, mettre en place un réseau mondial d'alerte reposant sur des dispositifs régionaux, à l'exemple de celui qui existe déjà dans le Pacifique. La France contribuera au développement de ce réseau.(JC, 2005)

 [34]Au lendemain de l'élection présidentielle palestinienne, rassemblons-nous pour faire du retrait de Gaza un succès. Cela suppose d'y associer pleinement l'Autorité palestinienne, et de l'aider à faire face à ses responsabilités, comme l'Union européenne s'y est engagée. Mais cela suppose aussi que ce retrait soit articulé avec la feuille de route, qui doit être relancée sans délai. (JC, 2005)

De même, pour le discours de Jacques Chirac, la reprise fidèle d’une lexie dans un passage quelconque renforce la tournure emphatique et met le lecteur dans une sphère de réactualisation de l’information :    

[35]Vous m'avez élu, en mai dernier, pour que nous construisions ensemble une nouvelle France, une France juste, unie, respectueuse de notre pacte républicain. Une France telle que vous et moi la voulons.(JC, 1995)

Dans l’extrait suivant, l’anaphore apparaît à un niveau supérieur à celui de la lexie libre ; elle sert à reproduire tout un fragment phrastique (syntagme) dans la séquence discursive :

[36]Depuis sept mois, notre priorité, c'est l'emploi. C'est au nom de l'emploi que nous remettons nos finances publiques en ordre, afin de construire une économie créatrice de travail et de richesses. C'est au nom de l'emploi que nous menons une lutte sans merci contre le chômage de longue durée, grâce au contrat initiative emploi. C'est au nom de l'emploi que nous aidons les artisans et les petites et moyennes entreprises, à se développer.(JC, 1995)

Ainsi dit, l’anaphore, telle qu’a été analysée et présentée dans ce travail, contribue à la construction du sens dans le discours. Ce fait se concrétiserait par la mise en œuvre de certains outils linguistiques qui permettent de tisser des réseaux sémantiques entre les séquences de ce dernier.

 

 

Conclusion

                Nous avons voulu, dans cet article, mettre en lumière le fonctionnement de l’anaphore dans les discours politiques de certains Présidents de la 5èmeRépublique française. Nous sommes parti de l’idée que les chaînes anaphoriques constituent un outil qui permettrait de régir des réseaux sémantiques assurant au texte sacohérence et sacohésion. Notre dimension d’interrogation était de révéler comment ce système de coréférence énonciative se manifeste dans le genre politique et de dégager son (ses) incidence (s) sémantiquesparticulièrement en rapport avec la nature de notre corpus, à savoircertains discours officiels des chefs d’Etat français sous la 5ièmeRépublique. D’après notre analyse, nous avons pu dévoiler nombre de points donnant accès à des pistes de réponse à notre interrogation de départ. D’abord, l’anaphore peut se manifester grammaticalement et linguistiquement dans le texte : son expression peut se faire autant par des moyens grammaticaux (la détermination, la démonstration…) quelinguistiques(par effet de coréférenciation). Puis, ce système contribue de différentes façons à assurer des liens sémantiques ou réseaux de sens entre les différents segments discursifs, ce qui permet aurécepteur (lecteur/auditeur)de maintenir la réactualisation des idées et des informations développées et de saisir un continuum lexico-sémantique permettant d’assurer une certaine concaténation dans la chaîne discursive. Enfin, cette réactualisation représente une forme de cohésion textuelle, condition nécessaire à la cohérence du discours et à la construction du sens du produit textuel et/ou discursif. Ainsi, est-il nécessaire de dire, au terme de cetravail, que cette réflexion nous guide à voir, dans destravaux à venir, les autres types d’anaphore présents dans les discours politiques, tout en pensant àfaire appel à la pragmatique comme cadre théorique d’analyse. 

[1]Riegel, Pellat&Rioul. (1994). Grammaire méthodique du français. Paris : PUF. p. 610

[1]Decool-Mercier Nathalie et Akinci Mehmet-Ali, « Le fonctionnement des anaphores dans les textes oraux et écrits en français d’enfants bilingues et monolingues », téléchargeable sur le site : http://www.ddl.ish-lyon.cnrs.fr/fulltext/akinci/Decool-Mercier_2010_art_decool-akinci2010.pdfconsulté le 12décembre 2013.

[1]Nous revenons sur cette appellation plus tard dans cet article. 

[1]Francis Corblin, « Remarques sur la notion d’anaphore », in Revue québécoise de linguistique, vol. 15, n° 1, 1985, p. 191

[1]Hélène Perdicoyanni-Paléologou, « Le concept d’anaphore, de cataphore et de déixis en linguistique française », in Revue québécoise de linguistique, vol. 29, n° 2, 2001, p. 55

[1]Ibid., p. 56

[1]Nous assignons au terme d’interlocuteur la fonction de tout récepteur de discours ; il peut être lecteur, auditeur ou tout autre actant recevant le texte ou le discours.  

[1]Nous acceptons le terme de dépendance da sa dimension structurale tesnièrienne, telle qu’elle a été présentée dans l’ouvrage de Lucien Tesnières, 1959,Eléments de Syntaxe structurale, Paris.

[1]Michèle Perret. (1994). L’énonciation en grammaire de texte. Nathan: Paris. p. 64                                                    

[1]Ibid., p. 65

[1]Ducrot et Todorov (1972 :358), cité par Hélène Perdicoyanni-Paleologou, « Le concept d’anaphore…op.cit., p. 58

[1]L’anaphore résomptive consiste à reprendre une expression par un seul mot qui la résume.

[1]Francis Corblin, « Remarques sur la notion d’anaphore », in Revue québécoise de linguistique, vol. 15, n° 1, 1985, p.191

[1]Martin Riegel et alii, 2009. Grammaire méthodique du français…op. Cite, p. 1037.

[1]Le principe de chiralité se résume en la propriété d’un objet ou d’un système qui existe sous deux formes qui sont l’image l’une de l’autre dans un miroir plan et ne sont pas superposables. (Dictionnaire Antidote, V. 2011)

[1]La tournure emphatique consiste, dans une phrase, à mettre en relief un mot ou une expression à l’aide de moyens lexicaux, syntaxiques ou rhétoriques.

[1]Le terme pivot revoie au mot central dans la chaîne anaphorique (ou élément anaphorisé)

[1]L’alternance anaphorique recouvre tout procédé consistant à reprendre un mot ou une expression tantôt par un lexique identique, tantôt par un pronom.  

[1]Nous attribuons l’appellation de continuité inter-énonciative à tout dispositif linguistique qui contribue à établir des liens lexico-sémantiques transitoires mettant en relation les énoncés les uns avec les autres.

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Nadji KHATTAB, «Rôle de l’anaphore dans la cohérence du discours politique français»

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Papier : ,
Date Publication Sur Papier : 2011-09-20,
Date Pulication Electronique : 2017-06-21,
mis a jour le : 12/06/2018,
URL : https://revues.univ-setif2.dz:443/revue/index.php?id=2139.