La construction de l’ethos dans l’entretien avec des ecrvainsThe construction of the ethos in the interview with writers
Plan du site au format XML


Archive: revues des lettres et sciences sociales


N°01 Avril 2004


N°02 Mai 2005


N°03 Novembre 2005


N°04 Juin 2006


N°05 Juin 2007


N°06 Janvier 2008


N°07 Juin 2008


N°08 Mai 2009


N°09 Octobre 2009


N°10 Décembre 2009


N°11 Juin 2010


N°12 Juillet 2010


N°13 Janvier 2011


N°14 Juin 2011


N°15 Juillet 2012


N°16 Décembre 2012


N°17 Septembre 2013


Revue des Lettres et Sciences Sociales


N°18 Juin 2014


N°19 Décembre 2014


N°20 Juin 2015


N°21 Décembre 2015


N°22 Juin 2016


N° 23 Décembre 2016


N° 24 Juin 2017


N° 25 Décembre 2017


N°26 Vol 15- 2018


N°27 Vol 15- 2018


N°28 Vol 15- 2018


N°01 Vol 16- 2019


N°02 Vol 16- 2019


N°03 Vol 16- 2019


N°04 Vol 16- 2019


N°01 VOL 17-2020


N:02 vol 17-2020


N:03 vol 17-2020


N°01 vol 18-2021


N°02 vol 18-2021


N°01 vol 19-2022


N°02 vol 19-2022


N°01 vol 20-2023


N°02 vol 20-2023


N°01 vol 21-2024


A propos

avancée

Archive PDF

N°28 Vol 15- 2018


La construction de l’ethos dans l’entretien avec des ecrvains
The construction of the ethos in the interview with writers
pp 367-378

Meriem Belamri
  • resume:Ar
  • resume
  • Abstract
  • Auteurs
  • TEXTE INTEGRAL
  • Bibliographie

يؤثر المحاور الناشط في الحواري الادبى بصفة فعاله على الحوار بواسطة اسئلتهومناوراته مع احتفاظه بتميزه بدوره المتمثل في حرصه على تفعيل الحوار.  انطلاقا من دراسة حاله خاصة من الحوار الادبي، ركزنا اهتمامنا على دراسة المظاهر. وهدا بهدف فهم السلوك الخطابي للمحاور والمحاور مع فرطيه ان صور الهوية تتشكل بصفة موازية. 

الكلمات المفاتيح: ا نواع خطابىة، تفاعل، حوار مع كتاب، احظار مقارب مظاهر صور اعلاميه.

L’intervieweurdel’entretienlittéraireexerce,deparsesquestionsetinterventions,unimpactmajeur sur le discours de son ou de ses interlocuteurs en se distinguant principalement par le rôle d’assurer lemaintiendel’échangeverbal.Àpartird’uneétudedecasdecegenreparticulier,notreattentionestportée essentiellement sur l’étude de la construction de « l’ethos» et ce dans le but de comprendre les comportements discursifs des acteurs sociaux avec l’hypothèse que les images identitaires du couple discursif « intervieweur/ interviewé » se construisent enmiroir.

Mots- clés :Genres discursifs, Entretien avec des écrivains, Interaction, Corpus dialogal, Ethos, Images

Identitaires.

The interviewer of the literature interview practice throws his questions and interventions a real impact on the his interlocutors by distinguishing itself throw him role of keeping the maintenance of the verbal exchange. From an exam of a particular case of this interview, our attention is essentially oriented to the exam of the construction of the «ethos » with the hypothesis that the images of the identities of the interviewer and the interviewed are built in the mirror.

Keywords :Discursive genres, Interview with writers, Interaction, Dialogal corpus, Ethos, Identity images

Quelques mots à propos de :  Meriem Belamri

Université Les Frères Mentouri, Constantine1, belamrimeriem@yahoo.fr

Introduction

Quand il s’agit d’interviewer des écrivains, une dynamique de partage s’opère fréquemment opposant de ce fait une culture dite médiatique à une autre demeurant livresque. Ainsi, l’entretien littéraire est considéré, dans le contexte de notre recherche, comme une co-construction du discours interactif (Vion : 1992) permettant, de prime abord, une interaction entre deux types de discours : le type journalistique et le type littéraire, et ce au sein du même champ d’investigation.

Dans la perspective langagière de l’entretien avec des écrivains, chaque intervieweur compose, en effet, un « ethos singulier » (Amossy : 2010) lui permettant de se positionner d’une manière particulière par rapport au discours de son interlocuteur. L’interview d’écrivains suppose, de ce fait, une négociation ancrée, d’une part, sur les modalités de l’interaction (Kerbarat-Orecchioni : 2005) et, d’autre part, sur les enjeux qui découlent du face à face médiatique.

Précisons que si l’intervieweur évolue dans l’espace interactif en vertu d’une finalité, il est amené à interagir en la faveur de l’entretien qui peut s’inscrire dans des champs et des genres discursifs potentiellement divergents. Notre réflexion s’inscrit dès lors dans une approche comparative de deux genres distincts de l’entretien littéraire : le genre radiophonique et le genre télévisuel. Notre intérêt s’est porté alors sur les émissions animées par le chroniqueur littéraire Youssef Saïah qui sont « Expression livre » et « Papier bavard », lesquelles demeurent organisées sur le modèle de l’entretien avec des écrivains. Nous nous demandons, ainsi, quelles sont les constructions possibles opéréesparl’intervieweurYoussefSaïahetdesesinterviewésdeleurspropresimagesidentitaires, dans et à travers leur discours médiatique ?

Pour répondre à notre problématique, nous convoquerons dans un premier temps des éléments définitoiresde«l’ethos»àlalumièredesdifférentesthéoriesenanalysedudiscourseninteraction. Puis, nous présenterons notre méthodologie d’analyse, pour mieux appréhender la notion de l’ethos dans notre corpus dialogal. Enfin, nous tenterons de nuancer les différentes constructions des images identitaires « affichés » et « attribuées » par l’intervieweur Youssef Saïah et par ses interviewés, dans « Expression livre » et dans « Papier bavard » tout en revenant sur les concepts de « l’ethos dit » et de « l’ethos visé ». Nous analyserons, en effet, « l’ethos dit » danslediscourset«l’ethosmontré»parlediscoursetaussiparlescomportementsdesparticipants de l’entretienlittéraire.

1.Présentation ducorpus

Notre corpus est constitué de plusieurs extraits enregistrés et transcris composant deux émissions qui s’inscrivent dans la tradition de l’entretien littéraire. « Expression livre » et « Papier bavard »

Appartiennent, en effet, à deux genres différents du discours médiatisé : la première émission développe un discours médiatique télévisuel tandis que la deuxième régit un discours médiatique radiophonique. Les émissions concernées par l’analyse sont, d’ailleurs ; animées tout particulièrement par le même et l’unique intervieweur : Youssef Saïah.Précisons que, dans le cas de notre analyse, le genre s’établit comme un espace d’interaction soumis à plusieurs types de contraintes.

Nous présenterons maintenant les données de notre corpus afin de définir le « cadre interactif » (Vion : 1992) des émissions soumises à l’analyse constituant ainsi que le cadre social dans lequel auront lieu les constructions des images identitaires. Notons, d’ailleurs, que l’espace interactif de « Papier bavard » et « d’Expression livre » n’est pas considéré du point de vue du cadre relationnel, mais il demeure représentatif des contraintes du genre exercées sur les participants de l’entretien littéraire.

Ceci dit, les séquences soumises à l’analyse et qui sont extraites des émissions choisies nous permettront, deparleursdivergences,d’examinerlesmécanismesdelaconstructiondesimages discursivesdel’intervieweuretdesesécrivains interviewésdans«desdispositifsvariés»comme l’exige notre hypothèse detravail.

1.1.      « Expression livre »

« Expression livre » reflète un univers culturel foisonnant. En effet, les invités de cette émission télévisuelle (généralement le face à face s’accompli avec un seul interviewé) sont souvent des écrivains qui viennent de différents horizons. D’ailleurs, le titre de l’émission est suffisamment connotatifetreprésentatifdesfinalitésdel’entretienlittérairetélévisuel.Ilreflète,ainsi,uneimage culturelle du dispositif médiatique de l’interaction. Nous sommes, ici, en face d’un croisement entre le monde littéraire et le monde médiatique qui s’explique par le choix du titre de l’émission « Expression livre ». Un choix très judicieux qui constitue un véritable point d’ancrage du processus deséduction.

Il convient de préciser que « Expression Livre » est diffusée, depuis plusieurs années, chaque mercredi de 11h à 12h sur canal Algérie. Elle n’est pas considérée comme une émission de talk- show où le spectacle prime sur la qualité du discours. Elle reflète, cependant, une parfaite atmosphère conviviale etbienarticuléed’uneinterviewd’écrivainautour d’unethématiquelittéraire. L’objectifpremierdel’intervieweurestdeparticiperdoncàlacoordinationet àlaconstructiond’un discours médiatique cohérent et ce en cherchant à informer et à satisfaire les téléspectateurs de l’émission.

 « Papier bavard»

L’émissionradiophoniquesujetteànotreanalysesedérouledansunsiteprévuàceteffetquiest le studio d’enregistrement de la Radio Nationale algrienne. Ce site est d’ailleurs marqué par le caractère complémentaire des échanges verbaux entre l’intervieweur est ses invités. « Papier bavard » est une émission hebdomadaire diffusée chaque mercredi de 22h à 23h sur les ondes de la Radio Alger Chaine Trois. Cette dernière embrasse un monde culturel parfaitement mis en avant par le choix des invités, qui sont des écrivains, dont la vocation est orientée principalement vers l’univers littéraire. Le caractère dialogique de l’émission se traduit, ainsi, par la co-présence physique d’une seule personne interviewée sur le site d’enregistrement en plus de l’intervieweur qui est Youssef Saiah. Les acteurs co-présents de l’interview assurent de ce fait une proximité discursive qui se traduit inévitablement par une situationdialogale, autrement dit-il s’agit d’une situation interlocutive immediate.

Ceci dit, notre corpus est composé de plusieurs séquences enregistrées puis transcrites d’un épisode de l’émission radiophonique (diffusée le 21/01/2015) avec l’écrivaine Nacera Belloula, invitée pour parler de son roman « Terre des femmes : 2014», en plus d’un autre épisode de l’émission télévisuelle (diffusée le 16/06/2015) avec l’écrivaine Anya Mérimèche, interviewée dans le but de présenter son roman Nos âmes (2014).

1.2.      Méthode d’analyse

Pour mener à bien cette recherche, nous nous sommes focalisée sur l’analyse des différents faits liés à l’ethos. Terme polysémique, l’ethos, désigne « l’image que l’orateur donne de lui- même à travers son comportement verbal, sa tenue, son élocution » (Barbéris, 2001:112). Notre objectif est de faire de l’ethos un élément d’analyse pertinent puisé dans l’analyse du discours au regard du genre et de la situation particulière dans laquelle il est produit. Cela dit, les marqueurs de l’ethos demeurent de naturetrèsdiverseetsontparticulièrement polysémique.Ainsi,unmêmefaitdiscursif nepeutpas être interprété forcément comme étant un marqueur de l’ethos. D’après Maingeneau (2002: 59) « l’ethos visé n’est pas nécessairement l’ethos produit ».  Au contraire, certains faits produisent parfoisdeseffetsauxdépensdeleurnature.SelonCharaudeau(2005:129),«lesmoyensdiscursifs à l’aide desquels est mis en scène l’ethos ne résultent pas tous d’une intention et d’un calcul volontaire de la part du sujet parlant». C’est pourquoi, il reste recommandé d’interpréter méthodiquement les marqueurs de l’ethos les plus pertinents.

Précisons quelaconstructiondel’ethosn’estpasunfaitisolédanslediscoursmais ilresterégiparlescontraintesdugenreenplusdutypedudiscoursemployé.

Ainsi, pour analyser l’ethos dans notre corpus, nous faisons appel à la distinction proposée par Chaney et Kerbarat-Orecchioni (2007:314), entre « image affichée » et « image attribuée » car les marqueurs opérés pour construire les images identitaires de l’intervieweur et l’interviewé sont différents.

1.3.      Analyser l’ethos

«L’ethos», en analyse du discours, est indissociable du genre de discours dans lequel il se révèle. Nous retenons, de ce fait, la définition d’Amossy (2002: 239) qui explique que « chaque genre du discours comporte une distribution préétablie des rôles qui détermine en partie l’image de soi du locuteur ». En effet, lorsque l’intervieweur prend la parole à l’intérieur du genre de l’entretien littéraire, qu’il soit radiophonique ou télévisuel, cela implique que ce dernier adopte une certaine position tout en accordant à ses interviewés une position corrélative. Cette position se révèle primordiale car l’image construite par le locuteur dans son discours médiatique est fortement déterminée par les attentes discursives et métadiscursivesii de l’interlocuteur.

«L’ethos » dans cette réflexion sera analysé dans un corpus dialogal, pris dans une perspective interactionniste.Ilestconsidérédonccommeune«constructionàlafoisdynamiqueetcollective» (ChanayetKerbarat-Orecchioni2007 :311).Nousnousintéressonsiciàlaconstructiondel’image de l’intervieweur et de ses deux interviewés (partenaires de l’interaction) dans deux genres différentsdel’entretienlittéraire.Encesens,nouspouvonsconsidérerque «l’ethos»estco-construit: «L’ethoseninteractionseconstruitsurdeuxplans:l’imageprojetéeiiiou(affichée)parlelocuteur vient se frotter et conforter à celle qui lui est attribuée par ses partenaires d’interaction ». (Ibid.)

Ainsi, pour étudier «l’ethos» dans « Expression livre » et dans « Papier bavard », nous prenonsen considération l’ethos « dit » et l’ethos « montré » par le discours et aussi par le comportement. D’après Maingueneau (2002:65) :

L’ethosd’undiscoursrésulted’uneinteractionentrediversfacteurs:ethosprédiscursif,ethos discursif(ethosmontré),maisaussilesfragmentsdutexteoùl’énonciateurévoquesapropre énonciation(ethosdit)[…].L’ethoseffectif,celuiquiconstruittelouteldestinataire,résulte de l’interaction de ces diverses instances dont le poids respectif varie selon les genres de discours.

Nous montrons, dans ce qui suit, comment «l’ethos» est construit par l’intervieweur Youssef Saïah et par ses deux interviewées : Anya Mérimèche et Nacerra Belloula, dans leur discours médiatique

Par l’effet miroir, qui fait que l’image de chaque participant de l’entretien littéraire est confrontée à celle que lui inflige son partenaire discursif. Nous nous proposons d’analyser “l’ethos discursive” et “l’ethos comportemental”, et de les interpréter au regard de ce que nous savons de leur “ethos prédiscursif”. Précisons, d’ailleurs, que l’interprétation reste conditionnée par le genre du discours, par le contexte de l’entretien, par les images préalables à l’échange des interactants et par celles développées dans leurs propre discours.

1.4.      l’ethos affiché

L’ethos affiché correspond à l’image que le locuteur construit de lui-même. Ceci dit, l’objectif de Youssef Saïah, dans le contexte de notre recherche, est de diriger l’interaction médiatique tel un expertetce,enaffichantuneimagepositived’unintervieweurhabile.LesinvitésdeYoussefSaïah se trouvent également dans l’obligation d’adapter leur conduite discursive en se pliant aux exigences du genre de l’entretien et en coopérant au jeu de questions-réponses livré par le journaliste.

Pourcefaire,les participantsde«Expressionlivre»etde«Papierbavard»setrouventcontraints de développer des stratégies discursives pour élaborer un « ethos d’identification » (Charaudeau 2005 : 85). Ces derniers, bénéficient, ainsi, de plusieurs moyens qui sont à leur disposition : à travers l’explication, tout d’abord, de l’image qu’ils veulent donner (image affichée dans le discours, qui correspond à « l’éthos dit »), également, via la construction de cette image par le contenu de leur discours (image affichée par le discours ou « l’ethos montré ») et enfin à travers lamanièredontilssecomportent(imageaffichéparlecomportementquiconvientégalementà

« L’ethos montré »).

1.5.      L’ethos affiché dans le discours

L’ensemble du discours de l’entretien littéraire, qu’il soit radiophonique ou télévisuel, est axé sur une volonté de faire parler l’écrivain interrogé tout en le poussant à dire qui il est, comment et pourquoi il écrit. Ainsi, l’indiscrétion nous semble être un attribut majeur de l’image affichée par Youssef Saïah dans « Expression livre » et dans « Papier bavard » afin d’assurer un bon déroulement des deux émissions qu’il anime, c’est ce que nous remarquons très clairement dans les deux séquences suivantes :

1.6.      Extrait de l’entretien radiophonique avec l’invité Nacera Belloula :

A:(bah)vouscitezbeaucoup(…)jen’saispassic’est(euh)pa’c’que(.)jen’lesconnais pas malheureusement (euh) des des des noms (euh) y a y a des noms que vous avezinventés(euh)évidemmentp’ac’queilyaunbanditd’honneur(euh)quiestl’un(..)quiest l’un des personnages du roman de votrerom

I :non les bandits d’honneur existaient/

1.7.      Extrait de l’entretien télévisuel avec l’invité Anya Marimèche :

A :etpuisnousallonsparlerdevotre(euh)dernierroman(XXX) I :oui/

A : Nos Ames toujours chez ce même éditeur Dar El Maarifa (..) alors dites moi (euh) 17- 18ans c’est ça ?

I : [RIRE] (bah) écoutez (.) j’ai eu beaucoup de chance c’est surtout ça/

A : dans dans dans (…) l’écriture c’est vrai qu’il y a beaucoup de chance mais il y a beaucoup de travail aussi/

Ces deux extraits nous montrent une facette de l’image que Youssef Saïah se fait de lui-même en tant que journaliste. Il s’agit ici d’une prestation explicite de son “ethos affiché”. Ce dernier, en voulant interroger les deux écrivaines a établi, en effet, une image pondérée et juste d’un intervieweur curieux et indiscret. L’indiscrétion est considérée, dans le cas de notre analyse, comme une marque de « l’ethos affiché » par l’intervieweur, dans son discours journalistique, qui sert donc à enquêter sur l’objet de l’entretien tout en visant à faire parler les écrivains interviewés.

 « Nous allons parler de », « vous citez beaucoup… » et « y a y a des noms quevousavezinventés…»sontdesformulesquelejournalisteaemployées,danslesextraissuscités, constituant de ce fait des formes particulières d’un questionnement indiscret adressé aux interviewées. L’indiscrétion de l’intervieweur demeure ainsi conforme à une logique de confession à laquelle les deux écrivaines acceptent de coopérer en participant au genre de l’entretien littéraire.

Il nous semble d’ailleurs que la coopération exprimée par Nacera Bellouma et Anya Mérimèche à l’égard du questionnement indiscret de Youssef Saïah confirme que ces deux interviewées affichent un “ethos positif” en réaction à l’image que l’intervieweur veut construire d’elles en les interrogeant.

L’invitée de l’entretien télévisuel a répondu, en effet, de manière agréable à la requête du journaliste : « [RIRE] (bah) écoutez j’ai eu beaucoup de chance », tandis que l’interviewée de l’entretien radiophonique a réagi de manière plus ferme : « non les bandits d’honneur existaient ». Nous considérons ainsi la coopération comme étant la marque de l des interviewées de Youssef Saïah dans leur discours journalistique.

Nous signalons que dans l’entretien littéraire, même si l’intervieweur assure son rôle locutif, il contribue souvent à donner un “ethos affiché” à ses invités. Ainsi, entre indiscrétion et coopération, les images des participants des entretiens littéraires radiophoniques et télévisuels semblent se développer inéluctablement dans leur discours.

Evoluant dans un espace interactif hétérogène, l’intervieweur se trouve souvent contraint de faire preuve d’un “ethos affiché”. Autrement dit, l’intervieweur opère souvent un savoir-faire impliquant nécessairementlamiseenœuvred’unstylejournalistiqueparticulier.Nousrappelonsque dansunentretienavec des écrivains,interrogerunécrivainentraineinévitablementunemanièreparticulière desepositionnerparrapportaudiscourslittérairequel’invitéincarne.Atraversl’analysede «l’ethosaffiché»parlediscours,nous tentons maintenantdecomprendresil’intervieweurde « Expression livre » et de « Papier bavard » arrive vraiment à négocier une position singulière au sein d’un champ discursif combinant à la fois plusieurs types du discours.

Cela dit, nous avons remarqué, dans notre corpus, que la construction de l’espace interactif des émissions concernées par l’analyse est régie par des moments de cooperation ou de contestation qui contribuent davantage à en assurer une dynamique conviviale. En effet, le couple discursif (intervieweur/ interviewé) coopèrent ensemble pour produire un discours cohérent visant tout particulièrement à montrer qu’ils sont compétents. Pour cela, ces derniers usent souvent de « l’ethos de compétence » qui exige une bonne maitrise du savoir et du savoir-faire. Charaudeau (2005:96) explique, d’ailleurs, que: « l’ethos de compétence » demande: « […] une connaissance approfondie du domaine particulier dans lequel il exerce son activité, mais il doit également prouver qu’il y a les moyens,lepouvoiretl’expériencenécessairespourréaliserconcrètementsesobjectifsenobtenant des résultatspositifs».

Ilvasansdirequele discourslittérairequedéveloppentlesécrivainsinterviewésparYoussef Saïah, durant les entretiens analysés, reste conditionnée par les exigences de la scénographie médiatiquedontlafonctionprincipaleestd’assurerlaproductiond’undiscoursmédiatisécohérent et satisfaisant. En effet, l’interview des écrivains reflète souvent un univers discursif de divertissement qui est basé particulièrement sur le respect de l’écrivain interviewé. Nous rappelons également que la compétence de l’intervieweur dans le genre de l’entretien littéraire est doublée d’une compétence de communication. Le genre de l’entretien est construit, de ce fait, sur cette double contrainte. Le traitement médiatique du discours journalistique et du discours littéraire dans l’entretien d’écrivains exige ainsi uneformedefamiliaritéquiapparaitsous forme d’une contribution interactive. Prenons cet exemple :

A : Houria Aichi alors ?

I : ah Houria Aichi qui a fait un magnifique travail (euh) et qui a fait connaitre le champ des femmes des Aurès à travers le monde entier

A: absolument alors on va l’écouter

A: voilà Horia Aichi iv dans un de ses chants (euh) de femmes des Aurès (euh) et puis nous sommes avec (euh) c’est un autre type de chant en fait et oui (euh) [RIRE] c’est un chantgraphique(euh)deNaceraBelloulapourTerredesfemmesromanparuchezChihab Editionalors(euh)toujoursentoiledefond(euh)àtraverstoustous(…)vospersonnages féminin c’est l’avancée (euh) des troupes coloniales françaises(euh)

I: quisontarrivéesquisont(XXX)arrivées(ah)àBatnaquin’étaitpasunevilleàl’époque il faut le dire(euh)

A travers l’extrait ci-dessus, relevé de l’entretien radiophonique avec Nacera Belloula, nous remarquons que Youssef Saïah enrichi son discours journalistique par des attributs du discours littéraire. Avec l’usage d’une métaphore « chant graphique », Youssef Saïah accentue sa notoriété de journaliste tout en contribuant à afficher un « ethos de compétence » qui ne demeure pasforcémentattenduparl’écrivain.L’intervieweurarticuleainsisondiscoursavecassurancetout ensemontrantnaturel,et,sanspourautant,entraverlalibreexpressiondel’écrivaineinterviewée.

D’autant plus que, dans notre corpus, nous avons remarqué que le discours journalistique de Youssef Saïah est parsemé d’explications, de répétitions, d’exemplifications et d’énumérations. Voici un exemple :

(T1) A : mais généralement (..) les adolescentes et les adolescents (T2) I: oui/

(T3) A : ce n’est pas un âge où on a beaucoup la nostalgie de son enfance

(T4) I : je n’sais pas (euh) personnellement si on me donnait le choix j’y reviendrais volontiers

(T5)A:ahouimaisc’estl’unoul’autre(..)soitonpasseàl’âgeadultesoitonrevientvers (euh) l’enfance (.) mais l’adolescence c’est (euh) devenue un chaos parce que à votre époqueparexemplevousditesvousviviezàcentkilomètresàl’heurec’estça?

Dans cette séquence, Youssef Saïah explicite sa requête en (T5) en employant unconnecteurargumentatif«parceque»suivied’uneillustration.Cetteformuleesttrèsfréquente dans l’entretien littéraire car elle relève du dialogisme interlocutifv. La question posée par l’intervieweurnoussembleêtre, en effet,plus«rhétorique»que«directe». End’autrestermes,l’écrivaine interrogée Anya Mérièche est censée savoir de quoi parle le journaliste puisque ce dernier vise principalement, à travers sa question, les téléspectateurs. Son objectif premier est de développer l’image d’un locuteur claire et précis soucieux de satisfaire la compréhension de son public.

L’intervieweur de « Expression livre » et de « Papier bavard » développe ainsi un « ethos pédagogique » (Chanay et Kerbarat-Orecchioni, 2007:320) lui permettant de produire un discours journalistique compréhensible et particulièrement accessible à son public. Youssef Sayeh a construit volontairement son discours en prenant en considération ses auditeurs/téléspectateurs et affiche de ce fait par son discours l’image d’un journaliste compétent et bien veillant.

1.8.        L’ethos affiché par lecomportement

Sil’entretienlittéraire afficheaprioriunegrandevolontéderécolterdesconfessionsdesécrivains interviewés, il n’en demeure pas loin qu’il reste soumis aux exigences du genre médiatique (instruireetplaire).Danscetteperspective,pourinformerl’auditoire,YoussefSaïah,doitproposer inévitablement du spectacle pour plaire aux téléspectateurs et aux auditeurs des émissions qu’il anime. L’interviewé, de son coté, est amené à collaborer avec l’animateur, en produisant avec sa conduite discursive, des éléments du spectacle. La double finalité du genre impose, de ce fait,aux écrivains interviewés d’attribuer à leur image une attitude plaisante pour satisfaire et contribuer au succès du spectacle. C’est pourquoi, le style sérieux et le manque de charisme peuvent viteennuyer

Placées sous la houlette d’un animateur qui assure le rôle d’un « directeur d’acteurs » (Brasey 1987:160-161), l’espace canonique de « Expression livre » et de « Papier bavard » est souvent soumisauxcontraintesdumédium,enplusdesconditionsd’improvisationpropreàl’intervieweur YoussefSaïah.Ainsi,ladiégèsedecesémissionsestnourriedesintriguesdramatiquesdesœuvres des invités écrivains dont le dénouement est très attendus pas les téléspectateurs et les auditeurs.

“L’ethos attribué” par le comportement de Youssef Saïah est celui d’un animateur d’un spectacle littéraire qui doit satisfaire un public avide et curieux. L’intervieweur tente tout au long du face-à -face médiatique de mettre en place une atmosphère comparable à celle de l’œuvre de ses invités afin d’en tirer des révélations susceptibles de frapper l’imaginaire du public. Les informations récoltées, par Youssef Saïah, au travers de l’entretien constituent dès lors une forme “d’ethos prédiscursif” qui est mis au service du récit des ouvragesprésentés.

En côtoyant de près l’univers fictif des écrivains, l’intervieweur de l’entretien littéraire, radiophonique soit-il ou télévisuel, coopère avec ses invités à inventer une existence factuelle aux personnages de papier. Dans ses émissions, Youssef Saïah récite fréquemment, de manière synthétique, des passages des œuvres de ses interviewés tout en les pilotant vers une nouvelle signification souvent inattendue.

D’ailleurs, en observant notre corpus, il nous a été donné de constater que Youssef Saïah, expose dans « Expression livre » et dans « Papier bavard » une image plaisante d’un animateur courtois, aimable et souvent agreeable.

Il nous semble en ce sens, que ces traits identitaires, sont considérés comme étant des marques de « l’ethos affiché»de l’intervieweur parlecomportement.Ainsi,àtraverslamagiedel’image,nouspouvonsapercevoir,dans les entretiens télévisuels, les expressions de son visage qui montrent explicitement des sourires, beaucoup de rires, une posture décontractée et non pas crispée, et une attitude plaisante vis-à-vis de ses interviewés. Les anecdotes comiques partagées entre l’intervieweur et ses deux invités, la mise en scène de l’humour ne peuvent qu’accentuer l’image attribuée à Youssef Saïah d’un animateur divertissant, comme le montre fortement cetexemple:

A: alors bon c’est votre personnage est canadienne (euh) vous la situer au départ à Vancouver d’accordmaisjeprésupposeque(euh)soncaractèrejedispasquevousaviezduprendrequelques parties de son caractère ou de sa situation (euh) que vous connaissez (..) c'est-à-dire vous en tant que jeune algérienne etadolescente

I: oui d’ailleurs chaque personnage de Nos Ames à quelques choses de moi j’ai laissé ça un p’tit peu partout

A: oui (…) ou d’amis à vous de connaissance

I: exactement là l’environnement joue beaucoup pa’ce que (euh) j’ai la tendance j’ai la manie d’observer beaucoup les gens d’ailleurs mes amis se méfient maintenant [RIRE]

A: vous êtes l’entomologiste des des des âmes et des caractères de vos amis dis donc vous les épingler de temps en temps ? ils vont être contents quand ils vont regarder l’émission [RIRE]

I: ils vont être contents [RIRE]

Il est interessant de constater, en observant cette séquence que la dynamique des échanges est axée sur la volontédefaireplaire.En effet, dansnotrecorpus,nousavonsremarquéquelesdeuxécrivainesinterviewées se présentent en tant que sujets interlocutifs pertinents face à un intervieweur agréable. Elles se montrent volontaires de répondre aux questions posées tout en se distinguant par une conduite discursive aussi amusante que celle adoptée par Youssef Saïah. Donc, au travers de la mise en scène de l’humour, dans un entretien avec des écrivains, “l’ethos vise” l’emporte souvent sur “l’ethosproduit”.

1.9.        l’ethos attribué

Dans l’entretien littéraire, la négociation des images identitaires par l’intervieweur et ses interviewés se construit, de manière continue. Le locuteur qui coupe, par exemple, sans cesse la parole de son interlocuteur peut refléter, dans ce genre de face à face, soit une image positive d’un interactant combatif, soit une image négative d’un débattant agressif et impoli. Pour interpréter ces images appréhendées par le locuteur de son interlocuteur, nous nous intéressons maintenant à l’étude de la construction de “l’ethos attribute” dans et par le discours médiatique.

1.10.     L’ethos attribué dans le discour

Nousavonsexpliqué,plushautque, danssondiscoursmédiatique,YoussefSaïahaffichel’image d’un intervieweur indiscret. De leur côté, ses interviewées: Nacera Beloula et Anya Mérimèche ont montré, dans leur discours, la posture d’interlocutrices coopératives. Cependant, l’indiscrétion de Youssef Saïah peut être interprétée comme une atteinte à son propre “ethos discursive”. Ainsi, l’insistance de ce dernier peut basculer vers une forme d’impertinence. Considérons cet extrait de l’entretien radiophonique avec l’invité Nacera Belloula:

                       […]

(T1) I:ça na rien avoir avec la prostitution (euh) c’est des courtisanes (…) qui étaient là qui apprenaient le chant qui apprenait la dance et tout

(T2) A: et elles choisissent aussi leurs amants/

(T3I: (bah) oui/

(T4) A: mais (…) c’est ça qui est important elles choisissent leurs amants (euh) pa’c’que à un moment donné d’ailleurs un amant (euh) un un des amants est conduit (euh) il est jaloux c’est elle qui l’a tué (XXX)

(T5) I: (ah) oui (…) tout à fait (euh)

(T6) A: donc (euh) on voit bien que c’est c’est (euh) elles vivaient comme elles entendaient

(T7) I:commeellesentendaient(..)maisellesavaientaussi(…)ellesavaientuncoded’honneur pa’c’que ce ce (…) cet amant dont (euh) (.) ce n’est pas un amant il n’est pas devenu amant dontdontellesn’envoulaientpas(euh)quandjedispa’c’que(euh)ilsait(euh)ilestdevenu un soldat français(euh)

(T7) A: c’est ça/

Nous remarquons, dans cette séquence, que Youssef Saïah distribue la parole de l’entretien littéraire de manière à se montrer poliment insistant. En effet, les interventions du journaliste et notammentsesrelancesluipermettentdes’approprierlaparole,etdeprendredecefaitl’avantage sur son interlocutrice. En se montrant indiscret et insistant, Youssef Saïah risque d’être considéré par Nacera Belloula comme un intervieweur impertinent qui cherche à la dévaloriser en insistant surdesdétailsforgésàpartirdel’œuvreprésentéeparcettedernière:«A:donc(euh)onvoitbien que c’est c’est (euh) elles vivaient comme elles entendaient ». L’interviewée est ainsi amenée à attribuer une image négative à Youssef Sayeh, celle d’un intervieweur insistant etinsolent.

En effet, l’interprétation des comportements des personnages de l’écrivaine interrogée cristallise la volonté du journaliste d’inscrire le discours de l’entretien dans une mouvance de critique littéraire.Lesinterventionsréactivesdel’interviewéeserésumantàdes assertions conclusives : « (bah) oui, (ah) oui tout à fait (euh) » l’ont beaucoup encouragé à manifester la posture de critique. L’insistance s’avère donc être payante puisque l’intervieweur emporte l’adhésion de son interlocutrice et se voit se vêtir de la posture d’unexpert.

Dans cette perspective, nous signalons que, dans notre corpus, l’indiscrétion de Youssef Saïah permetdeluiattribueruneimagepositived’unexpertetpeutêtreaussiconsidéréecommel’indice d’une image classique d’un journaliste qui tente d’accomplir sa tâche discursive. Prenons cette séquence extraite de l’entretien télévisuel avec l’écrivaine Anya Mérimèche :

(T1) A : alors évidemment vous êtes jeunes vous êtes une adolescente donc (euh) vous écrivez (..) dans Nos âmes surl’adolescence? JOURNALISTE

(T2) I: oui exact même (euh) à partir du premier roman j’écrivais essentiellement sur ça vuequec’esttoutcequejepeuxcommuniqueravechonnêtetévuequec’esttoutcequeje connaisdonc

(T3) A: c’est bien ça déjà/

(T4)I:voilasijeparlaisd’unadulteilyauraitunpartdemensongepa’c’quejen’saispas ce que c’est d’être adulte[RIRE]

(T5) A: c’est très bien d’avoir cette éthique et cette honnêteté intellectuelle (XXX) alors par contre ce qui est étonnant mais (euh) pac’que généralement (euh) la plus part des romans algériens je n’dis pas tous (euh) la plus part des romans algériens se situent (euh) sur notre territoire national (euh) il est assez rare que (euh) il y en a eu je n’dis qu’il n y a pasmaisc’estassezrareque(euh)onaillehorsterritoirenational(euh)etc’estassezfixé je dirais Alger (euh) pour beaucoup mais vous non vous avez décidé (euh) de situer dans deuxpaysvotre(euh)vosidéesd’histoired’adolescenceleCanada(…)etparticulièrement uneville EXPERT

(T6) I : Vancouver/

Les quatre premiers tours de parole nous renseignent déjà sur une première image pouvant être attribuéeàYoussefSaïah.Eneffet,l’indiscrétiondeYoussef Saïah en (T1) se traduisant par une question directe posée à l’écrivaine stimule une forme potentielle de gaieté discursive se traduisant par la réponse plaisante de l’écrivaine interviewee.Youssef Saïah était donc pertinent d’où le caractère amusant qui a dépeint l’attitude réceptrice de l’interviewée. L’image attribuée d’Anya Mérimèche à son interlocuteur est, sans doute, celle d’un journaliste éventuellement pertinent. La conduite discursive des participants de l’entretien, dans les quatre premiers tours de parole, témoigne, ainsi, d’une grande complicité entre l’intervieweur et soninvitée.

Toutefois, la réponse d’Anya Mérimèche dans le (T4) peut sembler un peu courte (voila si je parlais d’un adulte il y aurait une part de mensonge pa’c’que je n’sais pas ce que c’est d’être adulte [RIRE]). C’est pourquoi, Youssef Saïah a préféré rebondir sur l’intervention de l’écrivaine interrogée afin d’initier une nouvelle requête et basculer en même temps le discours de l’entretien dans le cadre de la critique La critique de Youssef Saïah dans le (T5) n’est pas frontale. Elle ne vise pas directement l’interlocutrice. D’ailleurs, les attaques de ce genre ne sont pas très fréquentes dans notre corpus, car l’effet voulu peut se retourner contre le journaliste. La critique frontale de l’écrivain interrogé, dans un entretien, peut conduire à une dévalorisation de l’intervieweur si ce dernier bascule dans l’insolence. La critique, dans cet extrait, demeure néanmoins dirigée sur l’objet de l’entretien afin de valoriser la posture d’un expert attribuée à l’intervieweur.

En somme, l’interprétation des images attribuées dans le discours, aux participants d’un entretien littéraire, semblent varier selon le cadre référentiel du face à face médiatique et reste a priori conditionnée par la conduite discursive des écrivains interrogés.

1.11.                L’ethos attribué par lediscours

Pouranalyserlesimagesattribuéesparlediscoursdansl’entretienavec des écrivains,nousnouspencherons davantage sur l’étude de « l’ethos de crédibilité » (Charaudeau 2005), développé par chaque interactant, qui vise principalement à contester la compétence discursive de l’interlocuteur. Pour ce faire, l’intervieweur et/ou l’écrivain interviewé mobilisent souvent un ensemble de stratégies discursives impliquant l’attribution d’une image négative à leur interlocuteur afin de s’approprier, par un effet de miroir, une imagepositive.

Ainsi, l’étude des séquences suivantes nous montre comment l’intervieweur Youssef Saïah fait basculer son identité discursive entre le rôle de journaliste, d’un côté et le rôle de débattant, d’un autre coté en vue de déstabiliser son partenaire :

 

Extrait (1) de l’entretien radiophonique avecAnya Mérimèche :

(T1) A : Alors Alexandre aux enfers (..) le titre est un peu (euh) dur [RIRE] qui est paru conjointement à à à à (euh) attendez aux Editions El Ikhtilaf que nous saluons

(T2) I: oui exactement ils font un excellent travail/

(T3)A:quiestuneassociationégalement(euh)quiéditeetquiaideénormémentdesjeunes auteurs aussi bien jeunes filles que jeuneshommes

(T4) I: et beaucoup aussi dans (euh) dans la branche scientifique et psychologique

(T5) A: exact

(T6) I: deuxième ouvrage La nuit aux deux soleils ça c’est Dar El Maarifa

L’observation de la séquence soumise à l’analyse nous semble être très représentative, car elle nousindiquequel’enjeuessentieldel’entretienlittéraire,quiestdesusciterlaparoledel’écrivain, n’est pas souvent respecté par Youssef Saïah. En effet, par son rôle de journaliste, Youssef Saïah a introduit certes le thème de discussion en (T1) et a orienté habilement l’échange verbal en (T5). Mais, nous remarquons que Youssef Saïah n’a pas assuré convenablement l’alternance des tours de parole dans le (T3) puisqu’il a empêché son invité de conclure son tour de parole. Le journaliste devrait ainsi laisser parler son invité et non pas monopoliser la parole en la privant ainsi de se confesser.ApartirdumomentoùYoussefSaïahempêchel’interviewéederépondreetpréfèreexposer son propre point de vue, ce dernier contribue donc à transgresser son rôle d’intervieweur. Il reflète donc l’image identitaire d’un « locuteur-énonciateur »vi. Bien qu’il ait respecté la tradition de l’entretien qui consiste à formuler une interrogation initiale en fonction de l’objet de l’interaction suivie d’une question adressée à son invitée, la requête du journaliste n’a donc pas abouticonvenablement.

Dans la suite directe de la séquence qui va suivre, nous pouvons remarquer que le journaliste continue parfois, dans l’acte même de questionner, de tenir un discours argumentatif et polémique sous-jacent qui ouvre la voie à une ébauche de débat :

 

 

 

Extrait (2) de l’entretien télévisuel avec l’invité Anya Mérimèche:

(T1)A:VancouverpourquoiVancouver ?Vousalleznousdirecechoixetensuite(euh) laFrancemaisdansunerégionoù(euh)mêmeenFrancepeutd’écrivains(ah)écriventsur la région de (euh) [chevauchement] c’est laBretagne

(T2) I: exact [RIRE]

(T3) A: alors c’est pa’ce ‘que vous connaissez ces deux régions ? ou pas du tout ?

(T4) I: non non pas du tout c’est pa’ce’que (euh) c’est l’instinct qui ‘a mené là en fait je me souviens que j’avais pris (euh) je voulais que ça soit la Bretagne obligatoire

(T5) A : pourquoi ?

(T6) I :c’est le climat en fait c’est pluvieux (euh)

Il nous semble que la question posée par le journaliste en (T1) « Vancouver pourquoi Vancouver ? » est chargée de préjugés polémiques. La question est, en effet, particulièrement subordonnée à un argumentaire exprimé comme préalable à l’interrogation formulée « vous allez nous dire ce choix et ensuite (euh) la France mais dans une région où (euh) même en France peut d’écrivains (ah) écrivent sur la région de (euh) [chevauchement] c’est la Bretagne ». Ceci nous indique que le rôle de Youssef Saïah, dans l’entretien littéraire, oscille parfois entre celui d’un intervieweur (celui qui interroge) et celui de débâtant (celui qui argumente).

Nous remarquons également que l’écrivaine interrogée, qui ne semble pas être prête à jouer le rôle de débattant, se trouve obligée, ici, d’opposer un désaccord ferme dans le (T4): « non non pas du tout».LedésaccordexpriméparAnyaMérimècherésonnefamilièrementcarils’agitd’unephrase d’accroche relative à une confrontation d’idées dans un débat. Nous signalons que, dans un entretien, l’interaction est censée être à fortiori complémentaire, mais dans la séquence soumise à l’analyse, nous constatons que l’entretien semble prendre la forme d’une interaction symétrique proche de celle du débat. Nous avons donc affaire ici à ce qui ressemble à la une deuxième phase d’un débat, à savoir « la confrontation directe ». D’ailleurs, Youssef Saïah s’approprie presque autant de temps de parole que son interlocuteur, alors qu’il est censé juste se limiter à l’acte de questionner, ce qui renvoie au « principe d’égalité » propre au genre dedébat.

CettestratégiesuivieparYoussefSaïah,dans«Expressionlivre»etmêmedans «Papierbavard» fonctionne donc du point de vue de la construction d’une double image publique et discursive attribuéeparlediscours.Eneffet, le journaliste se positionne dans l’entretien tout en respectant les conventions d’une bonne conduite conversationnelle. Ces identités attribuées servent au final à valoriser le statut d’un journaliste-énonciateurchevronné.

Conclusion

Au terme de cette analyse, la construction dialogique du discours médiatique de l’entretien avec des écrivains, qu’il soit radiophonique ou télévisuel, imlique que la gestion des images identitaires de l’intervieweur et des écrivains interviewés se construit en miroir. Nous arrivons, en effet, à la conclusion que l’indiscrétion, le spectacle et la compétitivité sont des marques de « l’ethos » qui dessine les contours des images affichées et attribuées à l’intervieweur Youssef Saïah. Tandis que le naturel en plus de la coopération sont des indices de « l’ethos » qui détermine la construction des images affichées et attribuées aux interviewées de Youssef Saïah et ce dans et par le discours.

Finalement, il nous a été donné de constater que Youssef Saïah organise le discours journalistique des entretiens radiophoniques et télévisuels qu’il anime sous forme d’interviews-confession. Les émissions animées par ce dernier participent, en effet, à inaugurer « un genre nouveau : la mise en spectacle d’un art de la conversation autrefois réservé aux élites intellectuelles et aux lettrés » (Ducas, 2003:82). « Expression livre » et « Papier bavard » sont élaborés, ainsi, sur le plan formel, à partir d’un modèle livresque, permettant la cristallisation de « l’ethos affiché » et de « l’ethos attribué » de chaque participant. L’intervieweur initie, en effet, fréquemment les entretiens comme s’il s’agit d’une « préface » et achève souvent ses émissions par l’énumération des ouvrages de ses invités à la manière d’une bibliographie de fin d’étude. La succession des thèmes abordés, la dynamique des dialogues nous indiquent également une volonté de composer ces deux émissions en imitant l’objet considéré dans les entretiens littéraires qui demeure, principalement, le livre.

Références bibliographiques

Amossy, R. (2002) « Ethos » in P. Charaudeau &D. Maingueneau (dir.), Dictionnaire d’analyse du discours, Paris, Seuil.

    Barbéris, J.-M. (2001), « Ethos », in C. Détrie, P. Siblot et B. Verine (dir), Termes et concepts

pour l’analyse du discours, Paris, Honoré Champion. Brasey, E. (1987), L’effet Pivot, Paris, Ramsay.

Butler, J. (1997), The Psychic Life of Power, Routledge. Traduit par Charlotte, N. & Vidal. J. (2004), Le Pouvoir des mots. Politique du performatif, Paris, Edition Amsterdam.

Charaudeau, P. & Mainguneau, D. (dir) (2002), Dictionnaire d’analyse du discours, Paris, Seuil. Charaudeau, P. (2005), Le discours politique, Paris, Vuibert.

Chanay, H. de & Kerbarat-Orecchioni, C. (2007), « Le français parlé des médias : actes du colloque de Stokholm, 8-12 juin 2005, Stokholm, Université de Stokholm (Acte Universitatis Stokholmiensis ; 24).

Ducas, S. (2003), « A défaut de génie…: la panthéonisation de Bernard Pivot », in :

Communication et langages, n°135, 1er trimestre 2003. Dossier : Littérature et trivialité. Kerbarat-Orecchioni, C. (2005), Le discours en interaction, Paris, A. Colin.

Vion, R. (1999), La communication verbale. Analyse des interactions, Paris, Hachette.

Bibliographie des écrivaines interviewées :

Mérimèche, A. (2012), Alexandre, la chute aux enfers, Ed El ikhtilaf. Mérimèche, A. (2013), La nuit aux deux soleils, Ed El Maarifa.

Mérimèche, A. (2014), Nos âmes, Ed. El Maarifa.

Belloula, N. (2014), Terre des femmes, Ed. Chihab.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Annexe

Les conventions de transcriptions

·           A :animateur

·           I : interviewé (e)

·           T : tour deparole

·           (.), (..), (…) indiquent des pauses de duréevariables

·            Les soulignements indiquent des chevauchements deparoles

·            (XXX) indique des parolesinaudibles

·           Les annotations entre [crochets droits] informent des réalités nonverbales

·           Les MAJUSCULES indiquent que le locuteur élève lavoix

·           Les / en fin de phrase indiquent une intonationmontante

·           [RIRE] indique unrire


iLedialogismeestune notionintroduiteparlethéoricienrussedelalittérature,MikhaïlBakhtine(1895-1975),selon lequellalangueseconsidèrecommeunrapportdesensdansunesituationd’échangeentreindividussociaux. S. Moirand présente d’ailleurs le dialogisme comme “un concept emprunté par l’analyse du discours au Cercle de Bakhtine et qui réfère aux relations que tout énoncé entretient avec les énoncés produits antérieurement ainsi qu’avec les énoncés à venir que pourraient produire ses destinataires. (2002 : 175.). Ainsi la dynamique discursive de l’entretien avec des écrivains découlent forcément des enchainements dialogiques entre le discours du journliste et le discours de l’écrivain interviewé.

iiNoussupposons queL’intervieweuretl’écrivaininterviewé(es)mobilisent,durantl’entretienlittéraire, dessavoir-faireintériorisésquiconstituentlerésultatdeleurexpériencediscursivereflétantparconséquent l’historicitédespratiquesdecommunication.Cesprocédéslinguistiquesetinteractionnelnoussemblentémergés dans et par le discours médiatique et peuvent être ainsi considérés comme constituant d’un savoir-faire professionnel.

iii Le caractère gras est celui de l’auteur.

ivA la difference de l’émission télévisuerlle, l’’émissionradiophoniquese caractérise par la presence d’une pause musicale intervenantjusteaumilieudel’entretien. Ainsi,danslecasdel’interviewavecNaceraBelloula,la pause musicale a été marquée par le chantchaouidelachanteuseHouriaAichi.

vLedialogismeinterlocutifpermetdeprendreenconsidérationlanatureconstruitedudiscoursenfonctiond’une cibleprédéterminéeàlaquelleils’adresse.Ilpermetaussidesaisirlesinterpellationsdulecteuràtraverslesdivers artifices. D’après Sophie Moirand, le dialogisme interlocutif est  une notion “ emprunté [e] par l’analyse du discours au Cercle de Bakhtine et qui réfère aux relations que tout énoncé entretient avec les énoncés produits antérieurement ainsi qu’avec les énoncés à venir que pourraient produire ses destinataires. (Ibid.) (2002 : 175.)

viTerminologieempruntéàAlainRabatel(2006)permettantdepréciserlefaitquelejournalisteestàlafoislocuteur, autrementdit,producteurdéclarédesonénoncée,eténonciateur,c'est-à-direqu’ilestaussiàlasourced’un point de vue.   

@pour_citer_ce_document

Meriem Belamri, «La construction de l’ethos dans l’entretien avec des ecrvains»

[En ligne] ,[#G_TITLE:#langue] ,[#G_TITLE:#langue]
Papier : pp 367-378,
Date Publication Sur Papier : 2019-01-09,
Date Pulication Electronique : 2019-01-09,
mis a jour le : 09/01/2019,
URL : https://revues.univ-setif2.dz:443/revue/index.php?id=4939.