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Approche pluridisciplinaire de l’autobiographie Démarche psychocritique et considérations génériques
Multidisciplinary Approach to Autobiography Psycho-critical approach and generic considerations
pp 406-418

Ali Zaidi
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  • Abstract
  • Auteurs
  • TEXTE INTEGRAL
  • Bibliographie

المقاربة النقدية للكتابة الذاتية لها ان تفصل بين المامها بالكاتب (المولد الحياة والتطور) او انشغالها بالكتاب ومدى مطابقة محتواه للواقع ومدى قدرة ذاكرة الكاتب على تخزين وتحيين هذا الواقع.

التطرق للمحتويات الدلالية في السير الذاتية يسمح للناقد التعرف عن دور الذاكرة في ايفاد الكاتب او في عرقلة سرده للاحداث كونها معرضة للنسيان اما التطرق للكاتب (الرجل) ان لم نقل دراسته فهي باهمية بمكان حيث تمكن الناقد من التطلع الى ذاته المحجوبة (انا العميق) وكذا المامه بمراحل تكوين شخصيته وتطورها. كما معرفة مدى اخلاصه في سرد المعلومات على حقيقتها

في النهاية لا بد للمعالجة النقدية للكتابة الذاتية ان ترتكز على المقاربة البسيكولوجية الان التعبير في حد ذاته هو الكينونة امام الاخر الذي بمجرد المثول امام الشخص يعجل بظهور التعبير كوجه مشخص لهذا الفرد.

 الكلمات المفاتيح:الكتابة الذاتية، النقد الادبي البسيكولوجي، علم النفس اللغوي الذاكرة، اللغة

L’approche psychocritique de l’autobiographie, doit-elle se focaliser sur l’homme et interroger son imaginaire ou sur l’œuvre et jauger de l’efficacité et de la fiabilité de sa mémoire ?
La prise en charge de l’œuvre et de ses contenus est rentable dans la mesure où elle révèle les failles et les ressorts de la mémoire. L’étude de l’homme l’est encore plus : elle permet de sonder son moi et de déployer les étapes de la constitution et de l’évolution de sa personnalité.

 L’approche autobiographique doit tirer profit des théories psychologiques, car tout lecteur en attente de signes à déchiffrer, requiert de tout écrivain de ‘‘se faire’’ langage. En s’y prêtant, ce dernier ‘‘se dissout’’ dans son verbe pour en être le véritable sujet pour le lecteur

Mots clés : Autobiographie, Psychocritique, Psycholinguistique, Mémoire, Langage

Should the psycho critical approach of autobiography focus on man and question his imagination or the work, and gauge the effectiveness and reliability of his memory?

The management of the work and its referential contents is profitable insofar as the faults and the resilience of the memory, the study of man is even more profitable, inasmuch as it allows one to probe one's self and to deploy the stages of the constitution and evolution of one's personality. The critical approach of autobiography must take advantage of psychological theories because, any reader waiting for signs to be deciphered, requires any writer to 'get' language. By lending itself, the latter "dissolves" in its verb to be the only real subject for the other, the reader.

Keywords:Autobiography, Psycholinguistics, Psycho critical, Memory, Language

Quelques mots à propos de :  Ali Zaidi

Faculté des Lettres et des Langue université Sétif2ali_zaidi_02@yahoo.fr

‘‘Le langage n’est pas un phénomène surajouté à l’être-pour-autrui, il EST originellement l’être-pour-autrui, c’est-à-dire le fait qu’une subjectivité s’éprouve comme sujet pour l’autre. […]Le surgissement de l’autre en face de  moi  comme regard fait surgir le langage comme condition de mon être’’.

Sartre J-P. (1943).‘‘L’être et le néant’’, Paris, Gallimard, p.422-423

Introduction

Une étude psychologique efficiente de l’autobiographie est celle qui permet de poser la problématique en des termes qui, à la fois, préviennent et tiennent compte des failles et des ressorts de la Mémoire, de la dimension induite par une personnalité en construction et des errements de l’autoanalyse. On pourrait, ce préalable satisfait, envisager de répondre affirmativement et sereinement à la question focale des auteurs de l’article Autobiographie de L’Anthologie littéraire du XIXème siècle qui s’interrogent : « L’autobiographie est-elle possible ? » Se voulant plus explicites, ils s’interrogent :« Sachant que l’écrivain interroge son passé à travers sa propre sensibilité et qu’il est en quelque sorte prisonnier de sa vision exclusive des faits, que devient la vérité dans l’autobiographie ? » (Horville, E. (2006). Larousse)

Ce questionnement est au centre des études du genre autobiographique, et le travail universitaire méritoire, réalisé en Suède par Vivi-Anne Lennartson et intitulé ‘‘L’effet sincérité’’ (Sous-titré : ‘‘L’autobiographie à travers la critique journalistique’’), est exemplaire et illustratif d’une problématique majeure de la littérature autobiographique. En effet, elle cite Serge Doubrovsky qui, en synthétisant la réflexion de Jean Starobinsky intitulée ‘‘Le style autobiographique’’ (in Poétique N°3, 1970),souligne les deux tendances dont il y est fait acte.

La première pose « le style, entendu comme ‘‘une forme ajoutée à un fond’’ et qui sera jugé en fonction de son infidélité à une réalité ». En revanche, la deuxième tendance pose« le style comme écart [et] apparaît surtout dans une relation de fidélité à une réalité présente […]. Dans ce cas, […] l’expression procède de l’expérience sans discontinuité aucune, comme la fleur résulte de la poussée de la sève ou du jet de la tige ». (DoubrovskyS., 1980 : 87)

     Notre réflexion, qui tient compte des considérations génériques particulières à ce type d’écrits, met en œuvre une démarche d’analyse de l’autobiographie qui interroge des aspects fondamentaux dans cette écriture littéraire et se focalise ainsi surla mémoire, l’imaginaire,le moi, l’égotisme, etc.: c’est ce que nous avons appelé démarche psychocritique

L’autobiographie entre mémoire et imaginaire

Quand on se penche sur l’étude de l’autobiographique en général, on baigne, de fait, dans une problématique littéraire très générale où l’imagination le dispute à la mémoire quant aux sources et à l’émanation de la littérature. En effet, pratique des Belles Lettres et partant des Belles Idées (humanisme, générosité, amour, tolérance, etc.), cette dernière est caractérisée par un certain nombre de singularités de divers ordres.

Si nous nous arrêtons au moins à cette double inscription à l’origine de sa singularité, nous remarquons qu’en amont de son entreprise, le littérateur, comme tout prosateur se sentant investi d’une mission (dire, informer,…), peut prendre la parole, parfois de façon quelque peu autoritaire, pour s’inscrire dans l’ordre du discours et présider ainsi à son fonctionnement social.  Il peut aussi le faire parce que mu par des mobiles personnels, voire narcissiques (s’exprimer, s’émouvoir,…). Dans les deux cas, selon M. Foucault, dans l’introduction à L’ordre du discours (Gallimard. 1971),il fait son entrée dans cet ordre du discours de façon problématique. 

En aval, l’auteur de l’œuvre (ou du produit) littéraire aura investi un ordre du discours qui, quelques utiles que soient ses retombées, n’en reste pas moins définissable et défini par son esthétique, si ce n’est par sa contingence. De fait, l’action, voire l’intention littéraire –ludique et non utilitaire dans son principe- présuppose, à la conception et à l’exécution, un auteur –tel un joueur- respectueux des règles et des lois des genres mais aussi jouissant d’une liberté imprescriptible de dire et de non dire, de faire et de défaire. 

De ludique, l’exercice peut donc évoluer en lucratif. En effet, l’auteur d’un roman de fiction, par exemple, crée ou compose des situations et des personnages imaginaires, vraisemblables, allégoriques ou fictifs. Il n’en demeure pas moins qu’étant membre à part entière d’un groupe social (classe, corporation, ethnie,…) dont il emprunte la langue, il est le produit de son espace et de son temps et est, en tant que tel, influençant et influençable et assurément influencé. Ainsi, quand bien même il respectera les règles narratives et l’organisation textuelle conformément au genre pratiqué, il se distinguera par des touches personnelles qui le révèleront à travers son style et sa vision du monde.

Des limites de la mémoire et du prisme du langage

Un projet d’écriture d’une fiction a aussi, en plus du carcan de règles génériques et discursives à respecter, ses soubassements ‘‘ réaliste’’ (héritage social) et ‘‘ subjectif et individuel’’ (héritage psychologique). Car, du réel transformé en allégorique et transfiguré par la fiction, et du contexte pris dans l’absolu (général et donc arbitraire) au texte particulier (individuel et motivé), c’est-à-dire de ‘‘Il’’ (= ‘‘On’’) de la narration à ‘‘Je’’ (=‘‘Nous’’) de l’énonciation, les frontières sont minces, poreuses et très souvent franchies. Par conséquent, la confusion de ces instances est prévisible, et les velléités de les mêler sont réelles, voire inévitables.

Par ailleurs, peut-on affirmer que, de son côté, un auteur de romans non fictionnels, un autobiographe par exemple, ne crée pas des personnages et des situations ? Parce que, pourrait-on arguer, il les prend dans la réalité, il en décrit les décors et l’ambiance et en relate les actions. Cela est valable en théorie, dans le principe et parfois même seulement par la sincérité de l’intention. Car, à l’arrivée, le produit de cette opération et les résultats du projet mis en œuvre sont parfois aux antipodes de l’intention de départ. En tout cas, ils sont très souvent, et dans les cas les plus réussis, entachés des empreintes personnelles de celui qui tient la plume.

A l’arrivée donc, la relation des faits réels, qui est censée constituer ‘‘ un récit d’événements se déroulant sans aucune intervention du narrateur’’ (selon le dictionnaire Le Petit Robert), se trouve largement compromise par (ou malgré) ce même narrateur et par l’auteur qui l’a délégué à cet effet. L’essentiel des faits narrés sortiront ‘‘déformés’’ du fait de ce prisme, de ce vecteur intermédiaire de leur passage de faits observés dans la réalité, à impression de faits à leur perception par l’agent scripteur, à leur expression textuelle.

La narration des faits ‘‘réels’’, comme celle de ceux ‘‘fictifs’’ d’ailleurs, présente des failles et des incomplétudes où s’introduit – parfois à son corps défendant – le narrateur/auteur de telle sorte qu’un seul et même événement n’est jamais raconté identiquement deux fois. L’agent scripteur étant pour beaucoup dans la sélection du fond et la détermination de la forme de l’œuvre produite, le recours à un outil approprié pour l’identifier et l’expliquer serait indiqué.

Il est évident que l’autobiographie peut constituer une source sûre d’une information et d’un référent historique, psychologique et culturel utiles pour la bonne intelligence de la vie de l’humain et de son évolution. Elle est, en conséquence, investie par les sciences sociales et les sciences humaines dans ce sens. En retour, en tant qu’objet d’étude, sa nature de phénomène de civilisation, d’acte personnel et d’objet esthétique, a rendu nécessaires les approches s’appuyant sur l’histoire, la psychologie et la poétique pour rendre compte des tenants et des aboutissants de ce genre d’écrit.

Psychologie, psychanalyse : outils efficaces ou panacées

Sans revenir sur les objections quant à la validité de la référence à la psychologie et à la psychanalyse en étude littéraire, et sans être tenté de confondre une œuvre littéraire, même intimiste, avec le monologue d’un analysé, il reste utile cet éclairage psychanalytique de qualité qui, en aucun cas, n’explique le ‘‘génie’’ littéraire, lequel ‘‘génie’’ dont l’approche requiert des théories littéraires (rhétorique, sémiotique, narratologie,…). En effet, nous avertit Francis Pasche,« on n’a pas le droit de soutenir que tout est déchiffrable par [ce]moyen et sera tôt ou tard déchiffré », pas plus que de « postuler qu’une explication existe à coup sûr qui, découverte, réduira sans reste l’acte, la parole, l’écrit, la pensée à un schéma intégral de l’ensemble du système ». (Cité dans Fayolle,1978 : 181)

Ainsi, l’étude psychologique du genre autobiographique, qui n’a pas la prétention de tout expliquer par des schémas réducteurs, n’aura pas non plus, selon Roger Fayolle, à « réduire l’originalité des œuvres à la banalité des complexes, [et]la richesse de la vie intérieure à la pression de la sexualité infantile », par exemple. (1978 :181) 

Et, même si cela pourrait s’avérer d’une utilité certaine, voire salutaire quand il s’agit d’élucider des ‘‘énigmes’’ ou des ‘‘complexités’’ dues à des phénomènes communs à toute vie humaine, cela risque d’éloigner de l’imprégnation (la plus naturelle et la plus indiquée pour leur parfaite réception) des œuvres de l’esprit. Cela dévoierait ainsi les conditions naturelles de leur avènement. Parce que, s’il est très important de déconstruire ces ‘‘énigmes’’ et ces ‘‘complexes’’ structurants (à l’instar de laconstitution duMythe personnel et de son rôle dans la création artistique chez les écrivains en général et les autobiographes en particulier), il est encore plus essentiel de ne pas passer outre ou de dénaturer l’objet de l’étude en se focalisant sur le prétexte plutôt que sur le texte.

Toujours est-il que l’approche psychologique ou psychanalytique du discours autobiographique, pour peu qu’elle n’occulte pas le texte, est très efficiente. En effet, son efficacité dans l’investigation et la compréhension du fonctionnement des instances et notions de la personnalité, de la mémoire et de la sincérité est d’un rendement sûr dans le déchiffrement des autobiographies. Ainsi, l’analyse de la personnalité (de l’auteur ou de ses personnages), de sa construction et de son évolution, l’explication des mécanismes de la mémoire, des étapes de sa constitution, des conditions de son entretien et de sa réactivation et la démonstration du critère de sincérité comme fondement du genre autobiographique, sont d’une rentabilité certaine pour la lecture des textes relevant de ce genre.

C’est dans ce sens que Roger Fayolle avance que l’œuvre d’art « en tant que manifestation du désir dans l’imaginaire » intéresse la psychanalyse.(1978 :181)   Freud, lui-même, nous dit Rosolatodans son Essais sur le symbolique (1969), « a magistralement esquissé l’interprétation psychanalytique de la fonction de l’art comme apportant des satisfactions substitutives en compensation des plus anciennes renonciations culturelles ». (Cité dans Fayolle. 1978 :182)

Cela devrait intéresser les études littéraires, et la critique de façon générale surtout, car en ‘‘révélant’’ ce qu’on a tendance à considérer comme tenants et aboutissants des œuvres littéraires, en ‘‘renseignant’’ sur leur genèse et leur finalité (si tant est qu’elles en aient d’exclusifs et de définitifs), elle éclaire d’un jour nouveau l’objet-texte sur lequel s’exerce cette lecture critique, à fortiori si cet objet-texte relève du genre autobiographique.

En effet, développant une réflexion générale sur ‘‘Le phénomène esthétique comme manque surmonté’’, Guy Rosolato, dit en substance :

L’art recueille le souvenir de cette inéluctable répression que la société impose […]. Il permet de retrouver dans la jubilation devant l’œuvre un rappel –heureux cette fois- de ce que la réalité a fait admettre de sacrifices anciens dans l’ordre du plaisir. La tonalité nostalgique de la contemplation, de la recherche d’un temps perdu, en dérive probablement. (Cité dans Fayolle. 1978 :182)

Le psychologique est donc utile, ne serait-ce que pour maintenir présent devant son regard et à l’attention du critique littéraire (plus préoccupé par l’aspect linguistique et les configurations formelles), la dimension psychique incontournable des instances, dont celle auctoriale. Le psychanalytique l’est encore plus car, nous instruit J. Green, en appliquant ce ‘‘traitement’’ « au discours conscient qui recouvre le discours inconscient, l’interprétation psychanalytique l’explore […] en le reliant au désir, et elle découvre dans le texte littéraire […]un ‘‘noyau de vérités’’. »(Cité dans Fayolle. 1978 :183)

La prétention ‘‘analytique’’ s’arrête là car l’objectif ultime n’est pas l’explication psychanalytique, encore moins la thérapie, mais la réunion des meilleures conditions possibles pour la lecture d’un texte marqué par l’intime. En effet,

Si la psychanalyse apporte une aide précieuse au lecteur d’autobiographies, ce n’est point parce qu’elle explique l’individu à la lumière de son histoire et de son enfance, mais parce qu’elle saisit cette histoire dans son discours et qu’elle fait de l’énonciation le lieu de la recherche (et de la thérapeutique). (Lejeune 1975 : 8)

Tout projet autobiographique, quel que soit le degré de l’ambition littéraire ou de l’intention référentielle de l’autobiographe, est un processus très complexe qui met en branle un mécanisme d’écriture onéreux. Car, si en aval de son accomplissement, en plus de la compétence linguistique, ce processus requiert le respect de la contrainte formelle, il implique et mobilise, en amont, la connaissance du topique du narrateur/auteur, c’est-à-dire des lieux à partir desquels il délivre ses assertions/confessions « caractéristique[s], typique[s], qui se rapporte [nt]exactement au sujet dont on parle ». (Le Petit Robert DLF, 1979 ; entréetopique)

Ainsi, dans cette configuration, l’homme (l’autobiographe) supplante l’œuvre, et sa connaissance s’avère déterminante pour l’accès aux sens contenus dans les replis de son texte. Mais, l’écueil qui guette le critique ici est d’un autre ordre car, s’il ne prend pas la tangente ouvertement, en se focalisant sur l’homme au détriment de son œuvre, il risque de tomber dans les rets de l’auteur en participant au surdimensionnement de son ego et à la flatterie de son Moi et partant, être abusé par les problèmes qui leurs sont pendants.

 

Procès du moi : égotisme ou égocentrisme ?

Mais d’abord, qu’est-ce que c’est cette activité intimiste dite ‘‘écriture de soi par soi’’ et que serait ce produit langagier tout autant intime et personnel, dit ‘‘écrit du moi’’?  

« Ce moi [qui]fait l’objet de l’attention des écrivains depuis le XVIèmesiècle, époque où l’humanisme a provoqué la prise de conscience de l’existence de l’individu » (Castex, P et Sirer, 1946), qui est-il ou qu’est-ce que c’est ? Qu’a-t-il à exprimer de si important, qui attire l’attention et suscite études et réflexions ?  

Si à l’origine, dans la pensée occidentale en particulier, ‘‘les conceptions du moi se sont d’abord appuyées sur la pensée antique et sur le christianisme’’ (Bénichou, 1948 : 317),le Moi est, pour la psychanalyse, « la conscience qu’un être humain a de son individualité, de sa personnalité ;[c’est]la forme que prend et par où s’exprime une personnalité […].  Il est la fonction psychique intermédiaire entre le ‘‘ça’’ et le monde extérieur ; grâce à la perception, il assure l’adaptation à ce monde, à la réalité ». (Leif. J,vol.4-, 1974 : 175)

De fait, on pourrait admettre quele Moi -comme « conscience individuelle en tant qu’elle est attentive à ses intérêts, à ne considérer que soi » (Bénichou, 1948 : 318)- est ‘‘ haïssable’’, selon le mot de Pascal. En effet, un réquisitoire en règle est dressé, qui ‘‘incrimine’’ cette tendance en partant de morale religieuse, des règles de bienséance ou même au nom de certaines vertus sociales qui, non observées et non honorées, empêcheraient le dévouement et la charité, excluraient de la catégorie ‘‘d’honnête homme’’ et diminueraient civisme et engagement envers autrui, en encourageant  l’individualisation,comme on pouvait le lire dans le  Manuel des études littéraires  (Castex P. et Surer P. 1946 : 318)

Dans l’écriture autobiographique, le ‘‘Moi’’ est manifeste dans toutes les formes, à des degrés divers. Il est manifesté, d’un côté, suivant les objectifs que peut s’assigner l’auteur de l’information auto référentielle qu’il consent à partager, et de l’autre, selon la conception qu’il a du socle choisi comme contenant (qu’il sent ou pense être adéquat au contenu à développer), c’est-à-dire le type ou la forme de l’autobiographie.

On citera, à ce propos et en guise d’illustration, les trois principales tendances imprimées par les dictées du Moi à la substance autobiographique.

Cela peut être d’abord un ‘‘désir de témoigner’’ irrésistible ; un témoignage qui se manifestera dans « une sorte de document qui serve à étudier avec objectivité les problèmes de la personnalité à travers des faits auxquels on laisse leur caractère personnel et particulier ». (Castex P. et Surer P. 1946 :319). Jumelée à une tendance toute naturelle qui consiste à tout redimensionner à sa propre mesure, cette sorte de témoignage permet à l’auteur d’apprivoiser ces faits et d’en être le sujet au lieu d’en être un simple médiateur.

La deuxième dictée incompressible du Moi, c’est l’expression d’un ‘‘lyrisme subliminal’’, lequel requiert de mobiliser pour sa saisie, plus qu’un organe de sens. Ce lyrisme restituera, par évocation et par suggestion, l’environnement d’une personnalité inquiète, en proie aux tourments de la vie. Ces inquiétudes et ces tourments sont par ailleurs indicibles par le truchement d’une expression ordinaire, car nous dira Jean Lecarme, « dans certaines situations tragiques, la poésie est bien la seule voie praticable pour le récit personnel ». (1995 : 46, vol.18-19)

     Enfin, ‘‘l’envie de parler de soi’’, dans un élan d’extériorisation de l’intime et de son exposé au regard d’autrui, ne peut être étouffée. A défaut et dans l’impossibilité donc de le réprimer, l’autobiographe essaie de le gouverner à sa guise. En effet, parler de soi répond généralement à un souci (le plus souvent tu et rarement avoué) de se justifier.

Il peut s’agir aussi, pour certains autobiographes, et surtout à une certaine période de l’histoire, d’une tentative d’autoanalyse pour se connaître et même parfois,selon le Guide des études littéraires, «d’un plaisir, (d’un caprice) de s’entretenir de soi, qui confine au narcissisme et traduit une haute idée de sa personne ». (2005 :319)  En effet, expliquera Jean Leif dans son Philosophie de l’éducation :

« Par référence à Narcisse, personnage de la mythologie qui s’éprit de lui-même, le narcissisme est contemplation de soi, attention exclusive apportée à soi. […]»

Le narcissisme s’observe rarement chez l’enfant dont la manifestation caractéristique est l’égocentrisme, jusqu’à 7 ans.

Chez l’adolescent, le narcissisme peut être : culte du moi sous une forme intellectualisée […], par une concentration consciente sur soi ; effort pour se connaître en se prenant soi-même comme objet d’analyse, de réflexion, d’étude, non pas en considérant le moi comme un modèle mais comme un exemplaire privilégié de l’humanité. (1974 : 185)

Ceci étant dit, est-il nécessaire du moins utile, pour un écrivain, de parler de soi ?

Cela est-il possible ? Est-ce rentable et esthétiquement productif ? En un mot, doit-on ‘‘lâcher la bride’’ au Moi ?

Si cela n’est pas de l’ordre du dilemme, il s’avèrera problématique. Il relèvera de la dialectique de la subjectivité et de l’impersonnalité en art, où il est question, ici de livrer des œuvres « en liaison avec son moi et ses aventures personnelles » et où il est indiqué là, de « ne livrer que des œuvres paraissant vivre par elles-mêmes » (Jean Rohou, 2005 : 319-320)

Les autobiographes s’inscrivent-ils dans la première ou dans la deuxième posture de l’alternative ? A priori, ils produisent et livrent des œuvres qui portent la marque, très visible, de leur épanchement. Seulement, cette ‘‘évidence’’ trouve, parmi les critiques, des partisans et des opposants.

Les opposants d’abord, qui n’arrivent pas à juguler cette ‘‘expressivité indécente’’ malgré leurs arguments moraux, se font les avocats du lecteur qui ne trouverait pas d’intérêt à des ‘‘ détails personnels ’’ ou qui serait agacé par ‘‘laprétention’’ des écrivains à se trouver uniques et intéressants. Ils rappellent, qu’en disant ‘‘ je ’’, les symbolistes (Mallarmé, Baudelaire, etc.)  Ne pensent « qu’à ‘‘ un moi absolu’’, pur de toute détérioration et, par conséquent, dépouillé de tout ce qu’il a de personnel ». (Rohou, 2005 : 320)

A l’opposé, les partisans de l’expression du moi intime par l’écrivain, dans un texte même destiné  au grand public, reconnaissent, ce faisant, l’impossibilité de se départir totalement de son moi, dans cet ordre du discours en particulier, car, sournoisement, à l’insu de  l’écrivain, un inconscient (toujours en activité) imprègne le texte d’un tel relent que seul  nierait un auteur hypocrite. Mieux, ils ne préconisent et ne reconnaissent qu’une seule manifestation de la ‘‘véritable authenticité’’ : elle est dans l’expression de son moi par l’auteur.

Arbitrer et départager ces deux positions n’est pas aisé. Mais, si contredire la première au nom de la révolution morale est soutenable, réserver le même verdict pour la seconde serait fermé l’œil sur une réalité manifeste parce que, comme il n’y a pas de fumée sans feu, il ne peut y avoir d’énoncé sans l’ombre d’un énonciateur.

Or, quand bien même il prétend présider à son énoncé, cet énonciateur peut-il se targuer d’en avoir les moyens requis ? Compte-t-il, pour cela sur son intelligence et sa perspicacité ou sur sa mémoire ?

La mémoire : constitution, entretien et réactivation

L’éclairage, pour ne pas dire l’approche psychologique de l’autobiographie, doit, pour dégager une information utile, s’atteler d’abord à jauger, pour les considérer à leur juste mesure (ou à une mesure raisonnable ou convenue), les écueils objectifs qui peuvent entraver, sinon dévoyer, l’entreprise. Nous citerons la mémoire –principal écueil -, la construction de la personnalité, la connaissance du moi et l’auto- analyse, comme projets sous-jacent à l’entreprise d’analyse de l’autobiographique.

D’abord, les problèmes liés à la mémoire : l’autobiographie étant une mise en texte d’un référent réel (historique ou personnel), ancré dans un passé (récent ou lointain), le rôle de la mémoire dans la mémorisation et la réminiscence de ce référent est primordial et déterminant. Pour la quasi-totalité des formes du genre, la mémoire s’avère être la source, le dépôt et le principe organique et moteur de toute cette activité, même si cela pose un problème d’un autre ordre (car ayant trait à la maîtrise des aspects techniques, de code et d’encodage). Il reste néanmoins vrai que dans certaines formes autobiographiques, la mémoire trouve dans l’écriture, un moyen, un auxiliaire sûr d’accès à certaines vérités auxquelles elle n’aurait pas pu accéder autrement.

L’importance du rôle de la mémoire étant soulignée, qu’est-ce que, justement, ce concept recouvre-t-il dans l’expression de l’autobiographique ? Quelles sont les facultés de la mémoire ? Quels sont ses problèmes ? En quoi et comment peut-elle favoriser l’action autobiographique ? Pourquoi et comment peut-elle la défavoriser ?

Premiers et véritables écueils de l’exercice autobiographique, les zones d’ombres de la mémoire. Elles peuvent déteindre sur le produit fini (l’autobiographie) et poser ainsi un autre problème : celui de la ‘‘vérité’’ et/ou de la ‘‘réalité’’ censées être relatées, peintes et représentées dans les écrits autobiographiques. En effet, peut-on lire dans L’Anthologie littéraire du XIXèmesiècle, « l’ambiguïté du projet autobiographique est contenue dans une volonté de sincéritétotale qui se trouve exposée aux accidents de la mémoireet au mensonge littéraire exigé par la mise en texte. De même elle [l’ambiguïté] s’affiche dès que l’on évoque le principe de l’objectivité. » (Horville, R. et Hal, A-E.,1994 :77)

Le problème de la mémoire, et celui de l’oubli –son corollaire-, se posent de façon objective dans l’acte autobiographique car, compter sur une hypothétique infaillibilité de la mémoire, ou même sur une prétentieuse perspicacité de la lecture des notes d’un journal intime, par exemple (notes écrites dans un passé bel et bien révolu), c’est tout simplement poursuivre une chimère. La mémoire, dans beaucoup de cas, tisse et construit ses propres indices et repères ; elle trace des signes et des balises de reconnaissance et de délimitation qui finiront, par le temps, par s’estomper ou devenir ‘‘impénétrables’’ pour celui-là même qui aura échafaudé cette stratégie de remémoration. En lieux et places des faits ‘‘logés’’ dans la mémoire, on risque de trouver des souvenirs totalement indépendants du cadre objectif de leur ‘‘inscription’’.

Pour définir la mémoire, il importe de distinguer celle qu’on qualifie de perceptive de celle qu’on nomme impressive où les souvenirs se caractérisent, pour la première, « par sa valeur sensorielle, visuelle », tandis qu’ils sont dans la seconde, « désincarnés, dévitalisés, fétiches de l’intellect plutôt que fragments vibrants ». (Chauvin A. 1997 :36)

De façon plus pédagogique,Pierre Fedida fait recours, dans le Dictionnaire de le Psychanalyse, aux concepts de ‘‘topique’’ et d’ ‘‘économie’’et explique :

Si l’on tient à ce que la psychanalyse a apporté à la psychologie de la mémoire et de l’oubli, on s’aperçoit que la mémoire se définit selon la double référence à une topique (en terme de systèmes) et à une économie qui impliquent qu’elle soit replacée dans un rapport aux systèmes perception-conscience et inconscient. La mémoire est à la fois ensemble de systèmes stratifiés, sur lesquels une trace vient s’inscrire, et condition de construction d’un événement, de son oubli et de sa réactivation. (1977 : 176)

Ainsi, la mémoire n’est donc jamais tout à fait vierge, ni n’est un réceptacle épousant la forme de ce qu’on y stocke : les faits y ‘‘déposés’’ viennent composer avec un état des lieux dont ils doivent épouser les contours. De même, le processus de ‘‘transcription’’ des faits dans la mémoire se fait, quelque consciente que soit sa perception, de façon inconsciente le plus souvent et en grande partie. Mieux, de par le potentiel qu’elle offre (mais aussi de par ses limites objectives) et qui préside à l’inscription du fait-souvenir, à sa perte ou à sa résurrection, la mémoire s’avère le pivot autour duquel s’articule toute écriture qui se veut référentielle, autobiographique. 

Mais, au-delà des écueils induits par les limites de la mémoire, l’autobiographie compose aussi avec les deux principales dimensions de cet acte hautement personnel (écrire sa vie), à savoir : le problème de la construction de la personnalité et la tentation de l’auto-analyse, car, si elle n’en est pas franchement entachée, elle en est sûrement imprégnée.

La personnalité : construction et évolution          

Il est évident qu’en ressuscitant des pans de sa première enfance, de son adolescence, jusqu’à sa jeunesse (au moins), l’autobiographe nous donne à lire une courbe de l’évolution de sa vie, relatée par ses soins. Il nous dessine du moins un tracé qui figure une mise en perspective d’actes et de faits ayant émaillé sa vie passée.  C’est là autant de jalons qui préfigurent le processus de la construction de sa personnalité (le segment le plus important, en fait).

Nous nous trouvons en face de la problématique posée par l’acte d’écriture autobiographique : ‘‘leproblème’’ de la construction de la personnalité. En amont du processus de production, cela agit comme élément régissant la reconstitution par l’auteur du fonds référentiel à réinvestir dans l’autobiographie, et partant, sa mise en forme, c’est-à-dire l’écriture même. En aval, ce procès de construction de la personnalité agit comme matière constituant ce même fonds, laquelle matière est prise en charge à ce titre, par l’étude de l’œuvre autobiographique. 

L’objet de l’autobiographie, « est,selon Philippe Lejeune, d’essayer de saisirsa personne dans sa totalité, dans un mouvement récapitulatif de synthèse du moi ».(1971 : 17)Or, la personnalité de l’auteur n’est pas figée, fixe ; elle évolue en constituant ce que le discours spécialisé appelle ‘‘étapes ou stades’’, dont les célèbres stades de Freud ou, selon ‘‘la théorie classique, le stade du miroir de Lacan ou les étapes de l’homme’’, comme souligné par Eriksondans le Dictionnaire de la psychanalysede Charles Rycroft (1972 : 93,version française, entrée Etapes de l’homme).

Selon ce dernier, il y a Huit Etapes de l’Homme (Stages of man) durant lesquelles peuvent apparaître « des qualités du moi, des critères par lesquels l’individu démontre, à un stade donné, que son Moi est assez fort pour intégrer le développement de l’organisme avec la structure des institutions sociales.»  (Erik Erikson, 1972 : 95)

Nous reproduisons, sous forme de tableau, les Huit Etapes de l’Homme ; étapes dégagées par Erik Erikson en 1957.  (C’est nous qui mettons en grille que nous numérotons I).

Etape de…

Dite aussi de…

Correspond à/au (x)…

1-Confiance

Méfiance fondamentale

Stade Oral dans la Théorie Classique

2-Autonomie

Honte et doute

Stade Anal

3-Initiative

Culpabilité

Stades Phallique et Œdipien

4-Travail

Infériorité

Période de latence

5-Identité

Diffusion de rôle

Adolescence et début de l’âge Adulte

6-Intimité

Isolement

La ‘‘ force de l’âge’

7-Générativité

Stagnation

Maturité

8-Intégrité personnelle

Désespoir

La ‘‘ vieillesse’’

 

La sixième desHuit étapes de l’hommeselon Erikson est celle qui, dans notre étude du fait autobiographique, se présente comme la plus importante car la plus potentiellement ‘‘structurante’’ de la personnalité de l’autobiographe. En effet, on peut lire dans le même Dictionnaire de la psychanalyse, à l’ouverture de l’article ‘‘Intimité ou bien isolement’’, que

C’est au cours de ce stade que l’individu en bonne santé atteint le niveau Génital de la psychanalyse classique [...] et devient capable d’amour intime et de travail Créateur ; cela s’étend apparemment de l’âge de 20ans environ jusqu’à l’âge mur. Le risque de ce stade est ‘‘ la crainte de perdre l’Identité dans les situations qui exigent cet abandon’’ et le sentiment d’isolement qui en résulte. (1972 : 135-136)

N’est-ce pas cette ‘‘crainte’’ qui, chez les écrivains - particulièrement les intimistes- est ‘‘fondatrice’’ de cette forme d’écriture, du moins de cette orientation ? Est-ce pour ne pas se perdre, en perdant son Identité, qu’on estime utile de consigner ce qui avait constitué le socle d’une personnalité et d’une identité auxquelles on semble tenir ?

Il ne pouvait qu’en résulter ce ‘‘ sentiment d’isolement’’ affligeant mais souvent salutaire et inespéré pour les intimistes qui trouveront en la circonstance, du temps pour réfléchir et pour écrire et qui, surtout, bénéficieront d’un recul apprécié comme une distanciation requise pour ce type d’exercice.

Cela est aussi à l’origine de cette ‘‘angoisse’’ dont parlent les existentialistes et qui est symptomatique d’une évolution qualitative (en l’homme même qui la couve et qui est) déterminante d’une conscience morale en formation et d’une personnalité en crise ou bien aux prises avec un environnement nouveau (le plus souvent hostile).  

Comme il est aisément décelable, et on peut en convenir, les six premières années de la vie de toute personne déterminent, dans une large mesure, le profil de la personnalité du futur adulte. S’agissant d’un écrivain, et à plus forte raison d’un autobiographe, des traits indélébiles sont déjà nettement accusés et des options sont largement prises quant à la forge du caractère et partant à la construction de la personnalité future.  En effet, la gestion du Complexe d’Oedipe, par exemple, et l’assurance qu’il peut inspirer (s’il est harmonieusement dépassé) ou, dans le cas contraire, les séquelles qu’il peut occasionner (s’il est mal géré) sont pour beaucoup dans les tendances vers lesquelles penchent les désirs et les gestes du futur auteur.

Avec  Le rôle du stade du miroir dans la formation du ‘‘ Je’’ de  Jacques Lacan (1966 : 89-97), nous comprenons avec plus de clarté que tout se joue à un très bas âge (correspondant plus ou moins au Stade Anal de la Théorie Classique) car, le plus souvent, avant même d’atteindre les 4/5ans (du Stade Phallique), l’enfant est quasi- conscient de son existence individuelle, de son ‘‘être’’ singulier, si on se fie essentiellement les travaux de Mélanie Cleane.

L’étude du stade du miroir qui, en analyse psychanalytique, permet « une approche nouvelle des psychoses de l’enfant (et une interprétation plus radicale de la schizophrénie) », risque de nous intéresser par le fait qu’elle« éclaire le processus fondamental par lequel se construit le sujet », comme on peut le lire dans le dictionnaire EDMA (La Psychanalyse, 1978 :192). 

Jacques Lacan y décrit un stade de développement, celui de l’unité ou de résolution du ‘‘fantasme de la dissociation du corps’’. C’est un processus qu’il présente en trois moments distincts.

        Les trois phases de ce stade selon Lacan sont ici présentées, par nos soins, sous forme de tableau, le 2ème, et avec un titrage (en gras) explicatif :

Premier moment

Deuxième moment

Troisième moment

             Situation :                  L’enfant échappe à l’angoisse du corps morcelé en prenant conscience de l’unité de son corps.

         Situation :         L’enfant tente de saisir cette image.

    Situation –Bilan :            L’enfant comprend que non seulement l’autre du miroir est une image mais que cette image est la sienne.

              Ecueil :                                Ce corps est perçu comme un objet extérieur et étranger.

           Ecueil :                    Il reconnaît qu’il   n’y a rien derrière la glace et que le ‘‘je’’ reflétantreflété ne renvoie à aucun terme extérieur.

      Conséquence :                          Il renonce par là même à vouloir échapper à l’angoisse par l’identification au corps de la mère et commence à conquérir sa condition de sujet.

 

Symboliquement, par l’accès au langage des adultes et en se soumettant à son ordre et à son autorité (code linguistique), l’enfant vit ses premières expériences de l’altérité du principe de laquelle il s’imprégnera et se conformera à l’ordre (code social). Du discours de l’Autre, de son discours à l’Autre, il déduit sa Vérité propre, et d’abord celle de son être effectif, de son existence.     

Une approche des textes littéraires, la critique thématique en l’occurrence, prône l’exigence de la plus grande attention quant à la prise en considération du premier âge des créateurs. Elle pose que c’est surtout à cet âge (l’enfance) que naissent et prennent forme, dans l’imaginaire des futurs créateurs, leurs grands penchants, en un mot, leurs mythes personnels.  

L’autre problème ou obstacle auquel s’est toujours trouvé confrontée toute lecture critique des œuvres autobiographiques -et qu’il incombe à une étude psychologique d’aplanir- est (en plus des problèmes soulevés par la mémoire et en parallèle à ceux inhérents à la construction de la personnalité de celui qui écrit le texte autobiographique en instance d’être étudié), celui posé par une tendance velléitaire, organiquement sous-jacente à toute écriture intimiste : l’autoanalyse. Car, en parallèle ou en aval de la construction de la personnalité et de ses incidences dans le texte, on assiste très souvent, dans l’autobiographie, à une auto-analyse en filigrane, souvent implicite, ou de façon parfois assumée. C’est là une tentation quasi-irrésistible (ou difficile à juguler) dans l’écriture intime, sinon un projet qui, même s’il ne dit pas son nom, est sous-jacent à la pratique dans son ensemble : se dire, s’écrire.

Néanmoins, l’étude psychologique, préalable à toute approche efficiente de la littérature autobiographique, doit aussi dépasser l’écueil de l’autoanalyse et mesurer, pour l’apprécier à sa juste valeur, ‘‘ la présomption analytique’’ de l’autobiographe. Car, en plus du fait que cette pratique submerge et voile l’intention (auto) référentielle, elle pourrait aussi procéder d’un ‘‘ mécanisme de défense’’. En effet, peut-on lire dans le Dictionnaire de Psychanalyse « cette forme d’analyse […] sauvage peut […]apparaître comme l’un des symptômes les plus importants de la résistance du malade et de l’homme normal à la vérité de l’inconscient. » (EDMA, 1978 : 62)

     Nous nous retrouvons aux prises avec un écran qui rend difficile, voire même aléatoire, sinon illusoire, tout accès à une information biographique fiable et ‘‘dénotative’’ d’un vécu effectif ou relatant les événements qui ont réellement meublé la vie de l’auteur. Selon Pierre Fedida, l’auto-analyse, littéralement ‘‘analyse de soi par soi’’, est généralement apparentée à l’introspection psychologique ;c’est un exercice que l’on emploie « à expliciter pour (soi) et pour les autres, ce qui sous-tend [nos] sentiments et [nos]pensées : cette attitude d’analyse de soi caractérise un aspect de la fonction narcissique du Moi ».(1977 : 43)

Il importe donc, tout naturellement, d’éviter cet écueil ou, du moins le contourner en en étant pleinement conscient pour, dans un premier temps, déjouer le mécanisme de défense et de diversion mis en œuvre (mis dans l’œuvre, parfois à l’insu de l’auteur) et, dans un second temps, ‘‘séparer le vrai de l’ivraie’’ parmi les informations brassées par l’autobiographe.

Si l’autoanalyse a ses limites objectives et présente donc des insuffisances somme toute ‘‘ordinaires’’, «  l’abîme qui sépare l’inconscient du conscient (est)si profond qu’il est impossible de parvenir à une élucidation véritable des rêves et des fantasmes qui relèvent de cette instance » (EDMA, Psychanalyse 1978 : 62) ; elle requiert avant tout la nécessité de son exercice par une personne tierce et qualifiée : l’analyste.

     Donc, à la lumière de ces données, l’écrivain ne serait pas le mieux placé pour, parallèlement à sa fonction première (mise en texte ; mise en forme) prétendre mener à bien une autre, au-delà de ses compétences : s’auto analyser, c’est-à-dire, accomplir « une investigation de soi par soi (qui, à travers les rêves et les associations libres, […]s’efforce d’atteindre les couches profondes de l’inconscient. » (EDMA, 1978 : 62) C’est là un travail de spécialistes, qui requiert des compétences es qualité.  Son importance est telle que « pour comprendre la vie psychique », Freud préconise qu’on accorde « moins d’importance à la conscience. Il faut,dira-t-il,voir dans l’inconscient le fond de toute vie psychique. L’inconscient est pareil à un grand cercle qui enfermerait le conscient comme un cercle plus petit. Il ne peut y avoir de fait conscient sans préparation inconsciente, tandis que l’inconscient peut se passer de stade conscient ». (Cité dans Fayolle R. 1978 : 182)

Il s’agirait probablement pour l’autobiographe, moins d’un monologue intérieur pour « une exploration (par l’auteur) de sa pensée intime en formation » (EDMA, 1978 : 63), que d’une simple analyse de ses sentiments intimes qu’il croirait mieux comprendre avec le recul et l’expérience qu’il aurait accumulée dans la vie et dans l’écriture.

      Pour autant, le lecteur critique se doit-il de lui accorder sa confiance la plus totale ?

La sincérité peut-elle être feinte ?

On peut facilement en convenir, en matière de lecture des textes autobiographiques, dira Lennartson (in Etudes romanes de Lund, 2001), un problème de fond restera toujours posé : il s’agit du « problèmecentral de l’évaluation littéraire, de la sincérité dans l’écriture et des critères de jugement en la matière. » C’est ce que confirme Simone de Beauvoir dans sa préface de La Bâtarde (1964) où elle affirme que « tout écrivain qui se raconte aspire à la sincérité : chacun a la sienne qui ne ressemble à aucune autre », corroborant les appréhensions ci-dessus formulées.

Comme on peut raisonnablement le comprendre et l’accepter, la problématique de la sincérité se pose, particulièrement en rapport avec les écrits autobiographiques où ‘‘ les écrivains se racontent’’. Cette sincérité est définie comme « la volonté de ne pas tromper autrui ou soi-même sur ce qu’on éprouve ou qu’on pense authentiquement ». (Bénac H., 1988 : 463). Elle peut être caractérisée par un certain nombre d’aspects que nous qualifions de moraux et de techniques.

Moralement, l’autobiographe se doit surtout d’être sincère vis-à-vis du ‘‘monde extérieur’’ qu’il ne doit ni travestir (embellir ou enlaidir), ni dévoyer et dissoudre dans un magma de conventions. Il doit d’abord être sincère envers lui-même en n’écrivant que sous la dictée de son observation en particulier et de ses sens en général, tout en étant en harmonie avec ses convictions. Encore faut-t-il, pour cela, qu’il ait véritablement vocation d’écrire.

Techniquement, voire poétiquement, l’auteur d’un récit de vie ‘‘s’épanchera’’ dans ses confidences et dans ses confessions ; il ‘‘gèrera’’ une expressivité lyrique qu’il devrait avoir à fleur de peau. En entreprenant une recherche de, dans et sur soi, il tâchera de mieux se connaître et d’arriver à ‘‘sa vérité’’, tel André Gide « pour qui chaque récit est une prise de conscience des possibilités de son être, [tel] Montaigne, pour qui les Essais sont à la fois prise de conscience et formation de soi ». (Bénac H., 1988 : 465) Enfin, par l’éloignement de l’emphase et de l’outrance, l’expression de l’autobiographe gagne en sincérité par la pondération et la concision. 

Il reste que la problématique de la sincérité dans l’écriture autobiographique est difficile à poser à partir du moment où ni l’auteur ne peut parfaitement se connaître, ni son écrit n’est censé s’y prêter idéalement, ni même le lecteur (critique) ne peut jamais durablement superposer l’homme et l’œuvre, parce que ‘‘ l’œuvre reste’’ tandis que ‘‘l’homme change’’. 

Cependant, par le fait même qu’elle paraît inutile et artistiquement impossible, « l’œuvre d’art est un beau mensonge » dira Stendhal : les velléités et la propension à la sincérité sont transcendantes en ce sens qu’elles redéfinissent la sincérité de l’expression et de la vision des êtres et des choses comme « libération de toute convention, qui permet de peindre le réel dans son objectivité » (Bénac H., 1988 : 466).  Elles suscitent, par ailleurs, une sympathie et une entente entre auteurs et lecteurs, lesquelles (entente et sympathie) permettent aux œuvres « d’éveiller la sincérité du lecteur au lieu de lui fournir une occasion de se dérober à soi-même ou de s’évader de soi ». (Bénac H., 1988 : 466)

Conclusion

Il est à déduire, au terme de cette réflexion sur une approche pluridisciplinaire de l’autobiographie, que la question reste entière tant l’analyste ne peut ignorer l’homme et manquer d’interroger son imaginaire et que le critique se doit de se focaliser sur l’œuvre et de jauger de l’efficacité et de la fiabilité de la mémoire de son auteur.

     En fait, la prise en charge de l’œuvre et de ses contenus référentiels par la critique littéraire est rentable dans la mesure où les failles et les ressorts de la mémoire, qui en est la source, sont considérés dans ce qu’ils peuvent apporter ou en quoi ils entravent la configuration générique autobiographique de cette œuvre.

L’étude de l’homme (pour ne pas dire son analyse), c’est-à-dire son approche psychocritique, est encore plus rentable tant elle permet de sonder son moi et de décrire les étapes de la constitution et de l’évolution de sa personnalité.

Il va sans dire que, toute médaille ayant son revers, d’un côté, les approximations dans l’appréciation du degré de sincérité de l’auteur de l’autobiographie révèlent les limites d’une critique littéraire mal outillée, voire subjective. D’un autre côté, la détermination et la quantification, par l’analyste, de la part de l’autoanalyse de l’auteur dans son œuvre, permet de prévenir des errements d’une lecture psychocritique aléatoire. Il est, en effet, très rare de réunir dans le même profil scientifique les compétences du critique littéraire et de l’analyste.

En définitive, l’approche critique de l’autobiographique doit, pour tirer profit des théories psychologiques et/ou psychanalytiques, s’y investir davantage car, nous instruit Sartre,  

Le langage n’est pas un phénomène surajouté à l’être-pour-autrui, il EST originellement l’être-pour-autrui, c’est-à-dire le fait qu’une subjectivité s’éprouve comme sujet pour l’autre. […] Le surgissement de l’autre en face de moi comme regard fait surgir le langage comme condition de mon être.  (Sartre J-P., 1943 : 422-423)

En d’autres termes, tout lecteur en attente de signes à déchiffrer pour accéder au sens, requiert de tout écrivain de ‘‘se faire’’ langage. En s’y prêtant, ce dernier ‘‘se dissout’’ dans son verbe pour en être le seul véritable sujet pour l’autre, le lecteur. C’est là l’essence de la psychocritique sartrienne qui permet d’accéder avec efficacité aux recoins ombragés de l’autobiographie. 

L’autobiographie a été, est et reste une tendance forte de l’écriture littéraire. Ses différentes manifestations -des Confidences, aux Mémoires et Journaux, des Romans autobiographiques aux Autobiographies cachées, à l’Autofiction- requièrent des critiques d’être vigilants et de mobiliser le maximum d’outils théoriques pour percer le secret de cette tendance forte de l’écriture littéraire.

Références bibliographiques

Œuvres 

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Articles 

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- Leif. J. (1974). Philosophie de l’éducation, vol.4- Vocabulaire, Paris : Librairie Delagrave

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- Lennartson, V-A. (2001). ‘‘L’effet-sincérité’’, in Etudes romanes de Lund (Suède) sous-titre : ‘‘L’autobiographie littéraire à travers la critique journalistique’’  

Dictionnaires 

-Dictionnaire de la psychanalyse (1974). Paris : Larousse

- Fedida, P.  (1977). Dictionnaire de la psychanalyse, Paris : Librairie Larousse

- La psychanalyse (1978).  EDMA (Encyclopédie Du Monde Actuel), Paris : Ch-H. Favrod

- Le Petit Robert 1. DLF (1979). Paris : Dictionnaires Le Robert

- Rycroft. Ch. (1972). Dictionnaire de la psychanalyse, Paris : Librairie Hac

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Ali Zaidi, «Approche pluridisciplinaire de l’autobiographie Démarche psychocritique et considérations génériques »

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Papier : pp 406-418,
Date Publication Sur Papier : 2019-01-09,
Date Pulication Electronique : 2019-01-09,
mis a jour le : 09/01/2019,
URL : https://revues.univ-setif2.dz:443/revue/index.php?id=4986.