Le Roman Historique contemporain face à « la scotticité ».The contemporary historical novel against " the scotticity".
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Le Roman Historique contemporain face à « la scotticité ».
The contemporary historical novel against " the scotticity".
pp 435-442

Soundous Chouar
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  • resume
  • Abstract
  • Auteurs
  • TEXTE INTEGRAL
  • Bibliographie

  لطالما اٌعتبر التاريخ مصدرا للروائيين إذ يمنحهم ثراء أحداثه فرصة كتابة روايات نصنفها اليوم بالروايات التاريخية. يعود فضل إنشاء الرواية التاريخية كنوع أدبي لوولتر سكوت، كاتب سكوتلندي مشهور بمجموعته " روايات وافرلي".
هذا المقال يتناول دراسة حول مدى تأثير وولتر سكوت على كتابة الرواية التاريخية الحديثة.
الدراسة تقوم على البحث عن معايير  السكوتيسية ، أي طريقة وولتر سكوت في الكتابة، وإسقاطها  على رواية "الجزاير المدينة البيضاء" للكاتبة ريجين دوفرج، هذه المعايير تم استخراجها من تحليلات لويس ميغران في كتابه " دراسة حول تاثير وولتر سكوت" و تحليلات جورج لوكاكش في كتابه " الرواية التاريخية". المقال يرمي أيضا الى تحديد مكانة التاريخ في الرواية الأدبية.

   الكلمات المفاتيح: الرواية التاريخية، وولتر سكوت، السكوتيسية، المعايير المحددة لتاريخية الرواية

Depuis longtemps l’Histoire est considérée comme une source commode où l’écrivain use de sa richesse pour donner naissance à des œuvres qualifiées d’historiques.

Le roman historique doit beaucoup à Walter Scott, un écrivain écossais célèbre par sa série Waverley Novels. Cet article propose de voir l’étendue et l’influence de ce précurseur dans le roman historique contemporain à travers la recherche des critères de la scotticité 
dans Alger ville blanche de Régine Deforges, l’étude s’appuie sur les analyses de Louis Maigron dans essai sur l’influence de Sir Walter Scott et George Lukacs dans Le Roman Historique, elle détermine aussi le statut de l’Histoire dans la littérature.

Mots clés : Roman Historique, Walter Scott, « la scotticité », les critères de l’historicité de l’œuvre

The History is considered like a convenient source for writers, it gives them the chance to write novels qualified by the term “historical novels”. The historical novel owes a lot at Walter Scott, Scottish writer famous by his “Waverley Novels”.  This article would like to show the influence of Sir Walter Scott on the modern literature. We have chosen “Algiers, white Town” like a corpus of our study which focuses on the research and projection of criterions constituted the historicity of a novel, these criterions are elaborated by Louis Maigron in “assay about the influence of Sir Walter Scott” and George Lukacs in “ The Historical Novel”. The article determines also the statute of History in literature.

Keywords:The historical novel, Walter Scott, The scotticity, criterions of the historicity in novels

Quelques mots à propos de :  Soundous Chouar

 Université Les Frères Mentouri Constantine 1chouarsoundous@gmail.com

Introduction

A la fin du XVIIIe siècle, début du XIXe siècle, l’Europe s’élève de sa dormance assoiffée de savoir et en pleine envie de conquérir le monde.
Cet esprit de s’ouvrir sur l’Autre n’était qu’une conséquence d’une situation politique qui a ébranlé tout un continent et comme la littérature est un miroir de la société, l’écho des événements européens s’est reflété sur plusieurs textes écrits sous des registres littéraires différents, souvent inspirés des règles classiques.

L’arrivée de Walter Scott a chamboulé les critères de création littéraire en imposant une nouvelle typologie qui a donné naissance à des œuvres qualifiées d’historiques. Depuis Waverley, l’historicité de l’œuvre se mesure par la conception scotienne qui tient en compte plusieurs éléments. Louis Maigron et George Lukacs déterminent les critères de cette création dans : essai sur l’influence de Sir. Walter Scott et Le Roman Historique.

Avec sa saga la Bicyclette Bleue, Régine Déforges a tissé plusieurs œuvres historiques dont les péripéties se sont déroulées dans plusieurs pays du Tiers Monde ; l’Algérie a eu l’aubaine de figurer dans deux tomes, le huitième porte le titre : Alger Ville Blanche et le onzième : Les généraux du crépuscule.

Comme ces œuvres prennent l’Histoire comme toile de fond, notre questionnement se focalise sur leurs conformités avec « la scotticité », autrement dit : dans quelle mesure Régine Deforges était imprégnée de Walter Scott ?

Cet article propose de voir l’étendue et l’influence de Walter Scott dans le roman historique contemporain à travers la recherche des critères de la scotticité dans Alger ville blanche, cette démarche nous permettra de mesurer le poids de Walter Scott dans le monde littéraire et déterminer la place de l’Histoire dans le panthéon littéraire qu’est le roman.

1- Qu’est- ce qu’un roman historique ?

Tout d’abord, le terme « roman » apparait en 1140, il vient du mot « romane » qui signifie la langue courante et populaire, le roman est un récit imaginaire qui s’est écrit en vers au Moyen Âge et puis en prose à partir du XVIIIe siècle où il était devenu le genre privilégié des courtiers de la modernité littéraire. L’hagiographie et les livres de chevalerie étaient les formes romanesques les plus répandues avant l’arrivée de Walter Scott, cet écrivain écossais (1771-1832) a innové la maquette littéraire, en donnant un nouvel élan aux romans de chevalerie et de guerre avec sa série Waverly Novels1.

La magie de ce précurseur, Scott, réside dans sa façon de « ressusciter poétiquement les êtres humains qui ont figuré dans des événements historiques »2.

Lukacs, philosophe marxiste et spécialiste en littérature hongroise, a réalisé une étude approfondie autour du roman historique assemblée dans un ouvrage intitulé Le Roman Historique.

Pour Lukacs, le roman historique est « la reproduction artistique fidèle d’une ère historique concrète »3son succès est dû bouleversements idéologiques, historiques et sociologiques opérés par les guerres napoléoniennes ainsi qu’au statut de l’Histoire, constituée au XIXe siècle comme discipline autonome. Il justifie la propagation du genre par le lien étroit qu’entretiennent l’imaginaire et le réel, c’est-à-dire, le côtoiement merveilleux de la littérature et de l’Histoire car la première « marche à l'effraction, à la transgression. Elle dit l'inavouable, le non visualisable, le tabou, la dissonance, le dysfonctionnement, la béance, le trou dans le social. »4tandis que la deuxième vise la vérité en établissant une démarche scientifique et en traçant des frontières disciplinaires,
« elle a tendance à marcher à la certitude, à la clôture du sens »5

La signification du mot roman citée ci-dessus et la vision de Lukacs nous permettent de déduire que le roman historique est un rassembleur de concepts contradictoires, une entreprise binaire de fiction et de réalité.

Gille Nélod, pseudonyme de Gilbert Vandercoilden, professeur et critique littéraire définit le roman historique dans son Panorama comme suit : « La narration où les éléments fictifs se mêlent à une proportion plus ou moins forte d’éléments vrais (historiques), l’auteur ayant l’intention de ranimer des personnages mémorables, un esprit de temps, des aspirations d’hommes du passé, des événements anciens, en un mot, une époque. » 6

     Avant d’aborder la typologie scottienne minutieusement, nous ouvrons une brèche sur le milieu dans lequel a grandi le précurseur.

Il est évident que le cerveau humain développe ses capacités en fonction du milieu social et culturel, Scott à l’instar d’autres écrivains était influencé par des devanciers en littérature, en philosophie et en Histoire notamment Maria Edgeworth (1767-1849) une romancière anglo-irlandaise dont les écrits étaient destinés aux enfants. Cette écrivaine avait l’intention de semer le nationalisme et les bonnes mœurs dans les générations qui l’ont  suivie, son romanCastle Rackrent  a connu la crête du succès et lui a valu une renommée européenne, elle est reconnue comme la créatrice du genre « historico-régionaliste ».

Scott apprécie l’écrivaine et établit avec elle une relation d’amitié et de correspondance, il lui rend hommage dans sa préface de 1829; l’idée de vulgariser la culture écossaise lui vient de Castle Rackrent.

Ecrire un roman n’était pas une obsession pour Scott, il excelle mieux en poésie qu’en prose, il entama la rédaction d’un roman en 1805et l’abandonna pendant cinq ans pour reprendre l’écriture en 1810après avoir lu les romans de Maria Edgeworth qui ont stimulé son aptitude prosaïque, lui-même a annoncé dans sa préface : « I felt that something might be attempted for my own country, of the same kind with that Miss Edgeworth so fortunately achieved for Ireland ». 7Robert Surtees était un ami de Walter Scott, il connait bien ses penchants pour les soulèvements jacobites qui ont eu lieu entre 1715-1745, il l’encouragea dans plusieurs lettres à ressusciter sous sa plume ces événements marquant l’Ecosse. Walter Scott apprécia les encouragements de son ami et poursuivit l’écriture de son manuscrit qui a été publié en 1814sous le titre Waverley.

1.1Waverley ou l’Ecosse, il y a soixante ans 

     Waverley ou l’Ecosse, il y a soixante ansest considéré par Louis Maigron comme le premier « vrai roman historique », par Lukacs comme « le premier roman historique de forme classique » et par Goethe comme « ce qui a été écrit de meilleur au monde ». Bien que les romans qui l’aient précédé possèdent une genèse historique mais la spécificité de l’écriture scottienne réside dans sa manière de réactualiser un évènement oublié à travers des personnages qui ne font pas l’Histoire mais qui la subissent tout en représentant une catégorie sociale bien déterminée. Lukacs écrit à ce propos : «(Scott) s’efforce de figurer les luttes et les antagonismes de l’histoire au moyen de personnages qui, dans leur psychologie et dans leur destin, restent toujours des représentants de courants sociaux et de forces historiques. »8

L’essence de la création scottienne revient à l’érudition de l’écrivain en Histoire, il s’est documenté avant d’esquisser l’intrigue de son roman, il a bien assimilé l’entourage des jacobins à travers « A Compleat History of the Rebellion (1746) de James Ray et History of the Rebellion in the Year 1745(1802)de John Home, plus connu comme auteur de la tragédie à succès Douglas (1756) » 9.

Le cadre historique et géographique dans lequel se développe l’intrigue de Waverley était assez exacte, Scott a gommé les frontières entre la réalité et la fiction, sa manière d’écriture a ébloui les critiques de son époque au point où John Wilson Croker  a commenté dans Quarterly Review : « The interest and merit of the work is derived, not from any of the ordinary qualities of a novel, but from the truth of its facts, and the accuracy of its delincation »10.

La réception de l’œuvre atteste son unicité et révèle sa dimension divertissante ; bien que le but de Scott soit plus pédagogique qu’esthétique du fait qu’il a insufflé son idéologie et sa réflexion sur les causes de la défaite jacobite et les conséquences de cette défaite sur la communauté écossaise mais la fusion des éléments tel que le style, l’idéologie, la réalité et la fiction font naître le pittoresque littéraire.

2. Le Canevas romanesque scottien:

Revivifier un passé lointain tout en prenant l’Histoire comme toile de fond est
le premier critère constaté dans les œuvres de Scott, la période entre la publication de l’œuvre et le temps de l’histoire dépasse soixante ans et parfois elle s’étend à des siècles. Cette rétrospection que pratique l’écrivain nécessite le retour à l’Histoire dans sa conception historiographique.

Le nationalisme, ou ce que Louis Maigron appelle dans son essai sur Walter Scott « la couleur locale » est dominante dans le roman scottien : « On voit la place que doit nécessairement occuper la couleur locale. Elle constitue le roman lui-même. […] Walter Scott ayant apporté aux décors de ses récits une attention particulière. […] Que de tableaux caractéristiques, que de scènes expressives, pour ne pas parler de ses peintures de l'Ecosse, dont l'exactitude s'explique par d'autres raisons, que de netteté et de relief »11.  

Les châteaux et les endroits cités dans les romans de Scott sont considérés aujourd’hui comme des monuments historiques, Scott fait l’éloge de l’Ecosse et vulgarise sa beauté et ses paysages selon l’époque que sa plume choisit, il a ressuscité les mœurs, le décor, les costumes et tout ce qui fait de son intrigue originelle, vraisemblable et plausible. Louis Maigron apprécia sa qualité minutieuse d’écriture, il a écrit dans son essai : « Tout ce qui est intelligence historique, divination et résurrection du monde antique, ses mœurs et ses costumes, ses coutumes et ses lois, les voluptueuses cités païennes aussi bien que les mystérieuses forêts gauloises toutes frissonnantes d'horreur sacrée le prestigieux enchanteur a tout évoqué, tout fait revivre. C'est comme un monde nouveau qui lentement se lève devant les yeux éblouis, et l'on ne sait ce qu'il faut le plus admirer dans ces tableaux, ou de leur vérité profonde, ou de leur prodigieuse variété ».12

 L’opposition des camps est le pivot de chaque roman scottien, Lukacs dans son Roman historique a insisté sur cet élément, il a écrit « Il [Scott] s’efforce de figurer les luttes et les antagonismes de l’histoire au moyen de personnages qui, dans leur psychologie et dans leur destin, restent toujours des représentants de courants sociaux et de forces historiques. »13.

Nous avons aussi remarqué que le personnage principal est en relation avec les deux camps, il est souvent fictif, il établit le contact avec des figures historiques, même ces figures connues sont esquissées comme « des êtres humains avec des vertus et des faiblesses, de bonnes et de mauvaises qualités »14.

Les structures sociales dans les romans de Scott sont conformes avec la réalité de temps, la société européenne était féodale, elle se subdivise en trois classes : le clergé : les gens de l’église, les chevaliers : ceux qui combattent et les paysans : ceux qui travaillent.

Le héros scottien appartient le plus souvent à la catégorie des chevaliers, c’est un être de papier, fils de l’imagination de l’écrivain, Waverley, Ivanhoé, Quentin Durward, Henry Morton et autres, Scott fait de ses protagonistes des médiums entre les deux camps, leur parcours est souvent interculturel et parfois ils les font évoluer sous un système d’acculturation, l’exemple le plus illustrant est celui de Waverley, Edouard a changé complétement de camp, il était hanovrien combattant dans les rangs des dragons et il est devenu jacobin, soldat dans les rangs des highlanders sachant que ces deux groupes sont des ennemis qui se concurrencent pour le trône.

Quoique les personnages évoluent dans un contexte de guerre mais il est toujours régi par la morale. Dans les romans Waverley, Old Mortality et Quentin Durward considérés comme des chefs-d’œuvre par excellence, les trois héros, Edward Waverley, Henry Morton et Quentin Durward sont grands et courtois, ils ne sont fidèles qu’à leurs principes de rectitude et d’honnêteté ; Scott, comme Lukacs l’avait signalé, possède un projet didactique et n’écrit pas fortuitement. « Son dessein dans Waverley était d'ordre didactique. Faire revivre l'insurrection jacobite de 1745lui permettait de s'interroger sur la nature même de cette entreprise, d'en dégager les tenants et les aboutissants et tout en donnant libre cours à son imagination de conteur, de faire œuvre de penseur et d'accéder au sens de l'Histoire »15.

Le respect des valeurs humaines que véhicule Scott dans ses romans jaillit de l’idée du progrès, son talent de revivre le passé national de son pays s’inscrit dans le nationalisme qui aspire toujours à une identité digne et une nation essoreuse. Tel était le canevas du roman historique primaire, dans ce qui suit nous allons projeter Alger, ville Blanche sur ce canevas pour voir dans quelle mesure ce roman répond à la scotticité.

3- Ce que Régine Deforges doit à Walter Scott :

3.1Cas d’Alger ville Blanche :

     Alger, ville Blancheest le huitième tome d’une saga intitulée la bicyclette bleue,
constituée de onze romans, Régine Deforges poursuivit les aventures de François Tavernier et Léa Delmas dans les pays du Tiers monde en choisissant Alger de 1959et la France comme des espaces convenant à la construction de son intrigue.
Le roman paru en 2001alors que ses événements ont eu lieu en 1959, c’est-à-dire, il répond au premier critère de la scotticité « la reconstitution d’un passé lointain ». Dans ce qui suit nous allons extraire des passages qui confirment l’espace-temps du roman :

« Cet été 1959était exceptionnel. Les journaux commentaient le chiffre record de neuf cents heures de soleil sur Paris durant les mois de juin, juillet et août, et ceux des récoltes sans pareilles enregistrées en matière de blé et de pommes de terre. Les femmes portaient des robes légères, les terrasses des cafés ne désemplissaient pas et les marchands de glaces faisaient fortune. On se bousculait à la piscine Deligny, où les corps se couvraient d'un hâle digne de la Côte d'Azur »16.

« Une voiture attendait François Tavernier à sa descente d'avion ; à l'intérieur se trouvait Georges Pompidou. Les deux hommes se serrèrent cordialement la main.  […] Pompidou avait pu les rencontrer par l'entremise de maîtres Popie et Morinaud, deux avocats algérois réputés libéraux, lors d'un discret séjour à Alger, en mars 1959; sa qualité de fondé de pouvoir à la banque Rothschild lui avait permis de circuler dans les milieux d'affaires sans trop attirer l'attention. Ce voyage avait été pour lui l'occasion de préparer
une prochaine entrevue avec maître Ahmed Boumendjel, un important représentant du FLN. »
17

    « Mon amour, Paris, le 18octobre 1959

Il me semble qu'il y a des mois que tu es parti, tant le temps s'écoule lentement. J'aurais dû insister pour t’accompagner : je ne connais pas l'Algérie, c'était l'occasion... Mais je t'entends déjà bougonner : « Ah, elle choisit bien son moment ! Toujours à vouloir aller là où il ne faut pas...L'aventure cubaine ne lui a pas suffi... Madame recherche les sensations fortes... Elle aime l'odeur de la poudre, celle de la sueur des combattants... Gourgandine, va ! »18

Ces trois passages affirment l’espace-temps du roman, la date 1959figure en tête d’une lettre écrite par Léa Delmas à François Tavernier, la présence du pronom démonstratif
« cet » prouve que le temps de la narration n’est pas ultérieure mais synchrone.

Le lecteur aurait l’impression qu’il est en 1959le recours à la description aiguise la rétrospection en la rendant introspective et cet aspect est purement scottien, il était affirmé par Louis Maigron : « Dès l'instant que la description précise et, si possible, la résurrection du passé, deviennent l'unique souci et l'ambition exclusive du romancier, il suit d'abord, et nécessairement, que c'est d'une intrigue véritablement historique que le récit tirera le meilleur de son pathétique et de sa force. »19

Un épisode de l’Histoire d’Algérie a été repris par Régine Deforges dans Alger Ville Blanche, le roman nous rappelle le concept « la mémoire collective » car l’Histoire d’Algérie de 1830jusqu’à 1962est aussi l’Histoire de France, les deux pays partagent un passé commun voire « une mémoire collective ». Ce concept est développé par Halbwachsdans son livre Les cadres sociaux de la mémoire, et il désigne l’ensemble des événements et des localisations que partage un groupe donné.

Dans les romans de Scott, Walter fait l’éloge de l’Ecosse et met en lumière son poids dans l’Europe et dans l’Angleterre, cette procédure donne aux romans scottiens une dimension interculturelle ; Régine Deforges n’a pas négligé ce point, le respect de la réalité historique rend le roman fourmillant de races et de cultures, Alger des années cinquante était cosmopolite, le recours de la France au Nato qui était la seule bouée de sauvetage devant cette guerre menée par « indigènes » exergue l’aspect de multiculturalité, ces passages affirment notre point de vue :

« Vous répétez bêtement ce qu'on vous a appris en classe. Depuis plus de cent ans que la France occupe l'Algérie, elle l'exploite. Parlons-en, du développement ! Seuls les Européens en profitent : Français, mais aussi juifs, Maltais, Italiens, Corses, Espagnols ! Quant à l'école, elle ne nous fait sentir que plus durement encore à quel point nous ne comptons pas. On nous éduque juste assez pour devenir de bons esclaves sachant lire et calculer pour les besoins du maître ! »20

 « Mais ici, dans cette Algérie sous domination française depuis plus de cent ans, des liens s'étaient tissés avec les colons venus d'Europe : Français, bien sûr, mais aussi Espagnols, Portugais, Turcs, Italiens, Grecs... sans parler des communautés juives, installées dans le pays dès avant la conquête »21.

Les communautés citées dans ces passages ne vivent pas en cohabitation, l’opposition des camps est l’axe qui articule Alger ville Blanche, le thème de la guerre est le plus dominant : « La guerre d'Algérie n'est pas la guerre des Arabes contre les Européens, ni celle des musulmans contre les chrétiens. Elle n'est pas non plus la guerre du peuple algérien contre le peuple français. C'est la guerre d'une nation qui se bat pour son indépendance, pour vivre librement sur la terre de ses ancêtres, en êtres humains et non en esclaves. Vous autres, Français, vous avez connu cela il n'y a pas si longtemps, Une grande partie de l'humanité a récemment tremblé devant le déferlement du nazisme »22.

Les personnages sont élaborés à la scottienne, la société dans laquelle évoluent ces personnages répond aux exigences du cadre temporel de l’histoire, les structures sociales du roman sont compatibles avec celles de la société européenne du XIXe siècle, nous préférons dans ce qui suit les cerner tout en usant le vocabulaire de la socio-histoire dont beaucoup de termes reviennent aux théories de Norbert Elias.

Dans son ouvrage introduction à la socio-histoire, Gisèle Noiriel a déterminé les concepts de la socio-histoire en variant les sources : « La configuration » désigne une compétition entre des personnes ayant une activité commune.

« Le groupement » est un ensemble d’individus ayant des activités en commun mais qui ne se connaissent pas, ils respectent un règlement précis et ont un représentant. « Le groupement » et « la configuration » sont interdépendants, certains membres occupent des positions dominantes d’autres dominées. Le terme «  communauté » s’applique sur les individus ayant des relations d’interconnaissance : « Pour désigner les ensembles d’individus qui résultent de l’intervention croissante de l’Etat dans la vie économique, le socio-historien utilisera les termes «  groupes socioprofessionnels » ou «  catégories socioprofessionnelle » (employés, cadre, ouvriers, chômeurs), lorsque ces groupements ne sont pas la conséquence d’une mobilisation des acteurs directement concernés mais imposés par le pouvoir bureaucratique, on parlera de « catégorie socio administrative »23

Toutes ces classes sociales se trouvent dans Alger ville Blanche.  « La configuration » s’incarne à travers l’opposition des camps (France/ Algérie) les uns se battent pour l’Algérie française, les autres pour l’Algérie algérienne.

Les groupements sont nombreux surtout du côté algérien, les combattants ne connaissent pas leurs responsables, le militant reçoit une mission imposée par le FLN sans connaître son dirigeant,

Les enfants ont joué un rôle important dans la transmission des informations et
la distribution des missions, le système est régi par des mots clés, les partisans du FLN utilisent des pseudonymes, nous prenons Al-Alem comme un exemple illustrant magnifiquement ce groupement : « Une de ces bandes avait pour chef un Kabyle de petite taille, qui ne devait pas avoir plus de treize ans. Nul ne savait d'où il venait, il ne parlait jamais de sa vie antérieure et ne répondait pas aux questions. Chose surprenante, il savait lire. En échange d'un coin où dormir, il faisait la lecture des journaux qu'il avait volés à un public composé de ses comparses ou de femmes analphabètes de la Casbah. »24

A l’instar de Scott, Régine Deforges possède un projet idéologique et une vision à transmettre, Léa Delmas a travaillé au compte du FLN, elle était porteuse de valises et elle a soigné une militante ; les actions qu’attribue Régine Deforges à Léa Delmas reviennent peut-être à un sentiment de repentance car elle était à l’époque contre l’indépendance de l’Algérie comme la majorité des français, son personnage femme n’était que l’incarnation d’une frustration.

La rectitude même à l’égard des positions fautives de nos pays et la satisfaction de nos consciences  et de nos « fin fonds » tel était le projet didactique et les principes que prônent Régine Deforges, elle a ainsi  embelli l’image d’une minorité française qui était contre la situation algéro-française, lors d’une interview mise à la fin de ce roman, édition France Loisir, Régine déclara : « J’étais très jeune et l’on oublie souvent que pour la majorité des Français, l’Algérie c’était la France, c’était un département français. Et il a fallu un peu de temps pour que les gens s’habituent à l’idée que l’Algérie puisse être indépendante. Très tôt, j’ai rejoint ce point de vue car j’étais libraire et j’avais lu la Question dès sa sortie en 1958, le fait que l’Armée française puisse se livrer à de tels actes m’avait horrifiée. À la réflexion, je trouve que les français qui ont aidé les algériens ont fait preuve de courage et de bon sens et ont eu une attitude très chrétienne dans le sens où beaucoup de prêtres ont aidé le FLN. »25

Le respect de la morale conduit au progrès, quoique l’idée du progrès dans le roman de Deforges jaillisse de la réalité car la France a levé le drapeau blanc lorsqu’elle était convaincue que la perpétuité de la guerre d’Algérie démolissait l’économie française et faisait reculer un pays dont la renommée et la puissance sont internationales.

« François, l'imitant, s'était levé ; le président de la République lui fit signe de se rasseoir et prit place dans un fauteuil près du sien : « Il vaut mieux, pour la France, une Algérie algérienne au sein de la Communauté qu'une Algérie française au sein de la France, qui nous mettrait à plat pour toujours. Si l'Algérie restait française, on devrait assurer aux Algériens le même standard de vie qu'aux Français, ce qui est hors de portée. S'ils se détachent de la France, ils devront se contenter d'un niveau de vie très inférieur».26

Conclusion

Depuis longtemps l’Histoire d’Algérie est considérée comme une source commode où l’écrivain use de sa richesse pour donner naissance à des œuvres qualifiées d’historiques.

Avec une plume talentueuse, Régine Deforges ressuscita dans Alger ville Blanche un épisode de la guerre d’Algérie en insistant sur ce qui s’est passé en 1959dans le camp français à Alger, avec sa plume fluide et dense Deforges réussit la fusion entre l’Histoire et la fiction, son œuvre est qualifiée d’historique par excellence. Cette historicité est mesurée par la conformité de l’œuvre avec les critères de la création scottienne déjà élaborés par Lukacs dans le Roman historique et Louis Maigron dans Essai sur l’influence de Sir. Walter Scott.

La projection de Alger ville Blanche sur ces critères ou ce que nous avons appelé le canevas romanesque scottien nous a fait déduire que la scotticité est perpétuée jusqu’aux temps modernes.

Références

1.       Waverley Novels est une série de romans rédigés par Walter Scott, les Waverley sont considérées comme les œuvres le plus lus en Europe au XIXe siècle.

2.      Luckas, G. Le Roman Historique, 1965, Paris. Payos. P. 35.

3.       Ibid, p. 65.

4.       Robin Régine. L'Histoire saisie, dessaisie par la littérature ? In : Espaces Temps, 59-61, 1995. Le temps réfléchi. L'histoire au risque des historiens. pp. 56-65

5.       Ibid, 1995, p.61.

6.       Nélod,Gille. Panorama du roman historique. Paris : Bruxelles, société générale des éditions, 1996. P. 118.

7.       Scott, W. (1814). Waverley ou l’Ecosse il y a soixante ans. Ebook. p.53

8.       Lukacs, George. Le Roman Historique, Paris, Payot, 1965.p.34

9.       Thévenot-Totems Marie-Hélène. La représentation de l'histoire dans Waverley (1814). In : XVII-XVIII. Bulletin de la société d'études anglo-américaines des XVIIe et XVIIIe siècles. N°47, 1998. p.119

10.     John Wilson Croker, in   Quarterly review, N011. 1814. P. 377.

11.      Maigron Louis. Le Roman historique à l’époque romantique, essai sur l’influence de W. Scott. Paris : Librairie Ancienne Honoré Champion, 1970. p. 45.

12.     Ibid, p.45.

13.     Luckas, G. Le Roman Historique, Paris. Payot. 1965. P. 35.

14.     Ibid, p. 47.

15.     Thévenot-Totems Marie-Hélène. La représentation de l'histoire dans Waverley (1814). In : XVII-XVIII. Bulletin de la société d'études anglo-américaines des XVIIe et XVIIIe siècles. N°47, 1998. p. 121.

16.     Régine Deforge. Alger Ville Blanche. France loisirs. 2001. p. 45

17.     Ibid, p. 261.

18.     Ibid, p. 65

19.     Maigron Louis. Le Roman historique à l’époque romantique, essai sur l’influence de W. Scott. Paris : Librairie Ancienne Honoré Champion, 1970. P.39

20.     Deforges Régine. Alger, ville Blanche. France loisirs.2001. p 67.

21.     Deforges Régine. Alger, ville Blanche. France loisirs.2001. p89-90.

22.    Ibid, p. 52

23.     Noiriel, Gisèle. Introduction à la socio-histoire. La découverte.2006. p.3

24.     Deforges Régine. Alger, ville Blanche. France loisirs.2001. p144.

25.     Ibid. p.508

26.  Ibid. p. 42

RéférencesBibliographiques :

1.       Deforges, Regine. Alger Ville Blanche Tome 8. Paris : Editions France loisirs, 2001.

2.      Lukacs, George. Le Roman Historique. Paris : Payot, 1965.

3.       Maigron, Louis. Le Roman historique à l’époque romantique, essai sur l’influence de W. Scott. Paris : Librairie Ancienne Honoré Champion, 1970.

4.       Nélod,Gille. Panorama du roman historique. Paris : Bruxelles, société générale des éditions. 1996.     

5. Noiriel Gisèle. Introduction à la socio-histoire. Paris : La découverte. 2006

6.       Robin Régine. L'Histoire saisie, dessaisie par la littérature ? In : Espaces Temps, 59-61, 1995. Le temps réfléchi. L'histoire au risque des historiens. pp. 56- 65

7.       Scott, W. Waverley ou l’Ecosse il y a soixante ans. Ebook. 1814.

8.       Thévenot-Totems Marie-Hélène. La représentation de l'histoire dans Waverley (1814).In : XVII-XVIII. Bulletin de la société d'études anglo-américaines des XVIIe et XVIIIe siècles. N°47, 1998. pp. 113-129.

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Soundous Chouar, «Le Roman Historique contemporain face à « la scotticité ».»

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Papier : pp 435-442,
Date Publication Sur Papier : 2019-01-09,
Date Pulication Electronique : 2019-01-09,
mis a jour le : 09/01/2019,
URL : https://revues.univ-setif2.dz:443/revue/index.php?id=5027.