La persuasion par l’éveil de la peur dans Le Cid de Pierre CorneillePersuasion through the awakening of fear in Le Cid by Pierre Corneille
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La persuasion par l’éveil de la peur dans Le Cid de Pierre Corneille
Persuasion through the awakening of fear in Le Cid by Pierre Corneille
p p 233-242
Date de réception : 2018-12-27 Date d’acceptation : 2019-12-18

Chaymaa Almohammad Alobeid / Rouba Hamoud
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  • resume
  • Abstract
  • Auteurs
  • TEXTE INTEGRAL
  • Bibliographie

لطالما شكل الإقناع أحد أهم ركائز الخطاب من خلال اعتماده على استراتيجيات عديدة لبلوغ الأهداف المرجوة. وتأتي أهمية استراتيجيات الإقناع من دورها في تغيير مجرى الأحداث، وفي تغيير موقف المتلقي ودفعه الى اتخاذ سلوك يتوافق مع الهدف المنشود من الخطاب.  وفي بحثنا هذا نحاول تسليط الضوء على أهمية اثارة الخوف في الاقناع في مسرحية لوسيد لبيير كورنيه. وسيتم التركيز على تبيان عدة متغيرات في نظرية الدعوة إلى إثارة الخوف وتطبيقها على المشاهد المدروسة، كدراسة الرسالة التحذيرية التي تستند إلى قسوة الرسالة وضعف الشخص المستهدف، إضافة الى دراسة كفاءة النصيحة المقدمة لتجنب الخطر، ودراسة مفهوم الكفاءة الذاتية؛ اي قدرة المتلقي على تطبيق النصيحة المقدمة.

الكلمات المفاتيح: الإقناع، الخوف، العنف، الحيوية، الكفاءة والكفاءة الذاتية.

La persuasion est une stratégie argumentative qui constitue l’un des piliers fondamentaux du discours. Elle a une influence indéniable dans le changement de l’attitude de l’interlocuteur. Parmi les stratégies de la persuasion, nous jetons la lumière sur la provocation par la peur. Nous essayerons d’apprécier son rôle dans la visée persuasive dans Le Cid de Pierre Corneille à travers la mise en relief de quelques variables indispensables dont : le message préventif menaçant (qui se concentre sur la sévérité de la menace et la vulnérabilité de la personne cible), les recommandations, l’efficacité et l’auto- efficacité

Mots-clés : persuasion, peur, violence, vividité, efficacité, auto-efficacité.

Persuasion is an argumentative strategy that is one of the basic pillars of discourse and has an undeniable influence in changing the attitude of the interlocutor. Among the strategies of persuasion, we throw light on the provocation of fear. Moreover, we try modestly to assert its role in the persuasion in Pierre Corneille's Le Cid through the highlighting of some indispensable variables, namely; the threatening preventive message that focuses on the severity of the threat and the vulnerability of the target person, recommendations, efficiency and self-efficacy

Keywords :  persuasion, fear, violence, vividity, efficiency, self-efficacy.

Quelques mots à propos de :  Chaymaa Almohammad Alobeid

Universite Techrine, Syrie chaymaaalobeid@gmail.com

Quelques mots à propos de :  Rouba Hamoud

 Universite Techrine, Syrie chaymaaalobeid@gmail.com

"Les puissants sont des hommes qui persuadent. Donc les persuasifs mènent tout."
Emile Chartier, dit Alain - Les idées et les âges, les passions et la sagesse

Introduction 

  La persuasion s'appuie sur une stratégie d'argumentation propre à faire adhérer aux idées du locuteur celui auquel elle s'adresse. Elle fait souvent appel aux sentiments. La personne cherchant à persuader procède de toutes les stratégies possibles pour atteindre son but.  Parmi ces stratégies, nous jetons la lumière sur la provocation de la peur que nous essayons tout modestement d’en prouver le caractère persuasif.  

   Par le biais de cet article, nous cherchons à affirmer le caractère persuasif de la peur en tant que passion tragique et les mécanismes permettant de l’évoquer. L’intérêt de cette recherche tient au fait d’appliquer « les théories de l’appel à la peur », qui appartiennent au domaine de la santé, sur des extraits du théâtre classique de Pierre Corneille.

Vue la convergence dans la mise en œuvre de ces stratégies au domaine de la santé et dans le théâtre de Pierre Corneille, nous appliquons dans notre recherche les mêmes étapes impliquées dans les théories mentionnées afin de mieux comprendre le fonctionnement de l’appel à la peur et d’identifier les conditions permettant d’assurer son efficacité persuasive.

Nous nous appuyons sur des théories récentes consacrées surtout à l’éveil de la peur en tant que stratégie persuasive (Girandola, 2000), (Pavic, 2011). Nous faisons recours ici à des modèles que nous considérons indispensables : « le modèle hiérarchisé de la motivation à se protéger » (Tanner, Hunt et Eppright, 1991), « le modèle étendu des processus parallèles » (Witte et Allen, 2000), et « le modèle par étape du traitement de l’éveil de la peur » (Das, E.H., De Wit, J.B.F., & Stroebe, W, 2003). 

   Dans Le Cid, et surtout dans les scènes de persuasion justifiant la violence, les protagonistes font leurs procès afin de séduire le roi et de le persuader, ou bien d’innocenter le héros tragique ou bien de le condamner tout en se répartissant, selon le schéma actantiel, entre adjuvants et opposants. Dans cet article, les stratégies mentionnées sont celles des opposants, réclamant l’acte violent à l’égard du héros et cherchant à persuader le roi de le punir.

1.               L’appel à la peur 

   La peur est définie comme « une réaction affective évaluée négativement, accompagnée d’un haut niveau d’éveil et générée par l’identification d’une menace personnellement pertinente ».[1]

   L’appel à la peur consiste à déclencher une perception de peur chez le récepteur par le biais de messages menaçants. La peur perçue devrait alors être source d’adhésion des individus à la recommandation proposée. « Le message avec appel à la peur possède ainsi deux fonctions distinctes. D’une part, il s’agit de poser le problème en présentant les conséquences négatives du comportement ; et donc de la menace. Et d’autre part, le message doit proposer une solution permettant d’échapper aux dangers éventuels présentés ; c’est le rôle de la recommandation ».[2] 

   Le fonctionnement de la stratégie de l’appel à la peur est analysé par l’intermédiaire des variables impliquées dans ce processus[i] : d’abord, la concentration est portée sur le message menaçant préventif qui doit révéler la sévérité de la menace et la vulnérabilité de la personne cible et nous procédons ici des processus de la vividité et de l’anticipation des évènements.

    Ensuite, nous nous concentrons sur la recommandation. Envisagée comme réaliste et réalisable, elle doit présenter une solution pour faire face à la menace suggérée, et nous insistons ici sur l’importance du codage de la recommandation (la concentration du message sur les bénéfices de l’application de la recommandation ; plutôt que sur les pertes résultant du fait de ne pas la suivre). Sans négliger le rôle de l’analyse de la situation par la personne cible.

    La variable de l’efficacité de la recommandation dépend du décodage de la menace ; et là nous analysons le mécanisme défensif de la personne cible (le contrôle de la peur ou le contrôle du danger). Nous insistons enfin sur la variable de l’auto-efficacité, c’est-à-dire la capacité de la personne cible   d’appliquer la recommandation.

1.1.          La menace

   Selon Witte, le message menaçant efficace doit mettre l’accent sur la sévérité de la menace ; et sur la vulnérabilité de la population concernée par cette menace .[3] 

   De sa part, Chimène, le personnage faisant recours à cette stratégie donne des messages préventifs que nous pourrions juger exemplaires, à travers la mise en relief de la sévérité de la menace que représente le persécuteur de l’acte violent, et de la vulnérabilité du roi ciblé, même implicitement, par cette menace. Elle procède de divers arguments pour susciter une peur maximale chez le destinataire.

1.1.1.      La polémique 

   Dans Le Cid, Chimène décrit au roi les circonstances de l’accomplissement du crime en donnant des jugements péjoratifs et dépréciatifs du persécuteur, son ennemi, « coup de témérité, jeune audacieux » et en accentuant son caractère rebelle pour éveiller une peur maximale chez le roi qui se sent ainsi menacé du même sort du persécuté « le Comte ».

   Sire, ne souffrez pas que sous votre puissance

   Règne devant vos yeux une telle licence.

   Que les plus valeureux, avec impunité,

   Soient exposés aux coups de la témérité ;

   Qu’un jeune audacieux triomphe de leur gloire,

   Se baigne dans leur sang, et brave leur mémoire. [4]

   Le message de Chimène, par le biais des superlatifs au pluriel « les plus valeureux », « un jeune audacieux se baigne dans leur sang et brave leur mémoire », confirme que Chimène ne parlait pas de son père seulement, mais qu’elle essaye aussi de faire comprendre que tous les « valeureux » sont menacés et parmi eux le roi lui-même. Elle fait donc une sorte de comparaison entre la gravité de l’acte de Rodrigue et la grande valeur des courtisans menacés par son acte, cherchant de ce fait l’éveil d’un taux exhaustif de réaction de la part du roi (indignation, mépris, hostilité) motivé par les sentiments de la peur de l’avenir.

1.1.2.      La vividité 

La vividité est un processus affectif dont les interlocuteurs procèdent pour augmenter la sévérité du message préventif (« vividity / vividness »). « La vividité est relative aux aspects très concrets de l’information, et à la capacité avec laquelle l’information peut être saillante et donc s’imposer à l’esprit ».[5]

Vividité, traduction de l’anglais vividity : force ou intensité avec laquelle des images présentées peuvent s’imposer dans l’esprit des individus. Ce terme est utilisé surtout dans les expériences pour lesquelles on manipule la force imagée d'un message.

L’image à laquelle Chimène fait recours, si poignante et si touchante, « se baigne de leur sang » pourrait éveiller une peur maximale chez le roi qui se sentirait tellement concerné par la menace.

Chimène :

   Qu’un jeune audacieux triomphe de leur gloire,

   Se baigne dans leur sang, et brave leur mémoire  [6]

 

 Cette image est susceptible d’imposer l’image terrible de l’acte de Rodrigue dans l’esprit du roi et de provoquer chez lui un sentiment effrayant de vulnérabilité intense.

Ainsi, Chimène argumente d’images si poignantes pour influencer l’attitude du roi vis-à-vis de Rodrigue et orienter ses comportements vers le châtiment de son ennemi. Elle ne cesse pas de lui décrire des vues atroces et effrayantes et des images pleines de vividité ;

   Sire, mon père est mort ; mes yeux ont vu son sang

   Couler à gros bouillons de son généreux flanc [7]

En effet, la description de la vue du sang coulant violemment est apte à modifier la décision du roi vis-à-vis de l’acte de Rodrigue.

 En affirmant au roi le caractère rebelle de Rodrigue qui a osé tuer le Comte dans la cour, « sous votre puissance, devant vos yeux, dans votre cour », Chimène essaye d’avertir le roi de l’impact de l’affront de Rodrigue qui menace sa couronne, sa grandeur et sa personne aux yeux de son peuple.

Chimène :

   Un si vaillant guerrier qu’on vient de vous ravir

   Eteint, s’il n’est pas vengé, l’ardeur de vous servir. [8]

   Immolez, non à moi, mais à votre couronne,

   Mais à votre grandeur, mais à votre personne  [9]

 A partir de cet extrait, nous remarquons que Chimène a l’audace de prévenir le roi explicitement d’un péril imminent. Elle lui affirme sa vulnérabilité explicitement ; en mettant en risque son règne et sa valeur. Ceci a conduit le roi à prendre une attitude immédiate conformément à la recommandation proposée.

1.1.3.      L’anticipation 

  En éprouvant la peur, les protagonistes analysent leurs situations et utilisent l’imagination pour comprendre qu’il y a un mal imminent qui est sur le point de leur arriver.

Cependant, en procédant de l’éveil de la peur, les protagonistes prennent en considération la situation complète dans laquelle ils se trouvent. C’est pourquoi, ils mettent en relief les caractères du héros tragique « le persécuteur du crime » : il appartient à la classe noble, il est très fort, il a gagné des batailles contre des ennemis invincibles ; ce qui lui donne une valeur intense et une grande renommée dans l’Etat et chez le peuple.

 Motivé par son amour-propre et par son honneur, le héros tragique commet un acte violent relié, exprès, par le dramaturge à un acte victorieux afin de confier à la situation plus d’intensité.

Tous ces caractères donnent aux opposants l’occasion d’en profiter pour accentuer le sentiment du danger que représente le héros tragique et éveiller en même temps une peur maximale chez le roi.

Tout en profitant de la situation, Chimène a recours à l’imagination pour faire comprendre à ses destinataires qu’il y a un mal éventuel qui est sur le point de leur arriver. Elle fait donc un processus d’anticipation aux évènements.

   Chimène passe un message préventif au roi suggérant qu’il est vulnérable mais d’une manière véhémente. Elle parle explicitement avec le roi et lui affirme clairement qu’il est concerné par la menace ;

   Immolez, non à moi, mais à votre couronne,

   Mais à votre grandeur, mais à votre personne [10] 

Elle fait une sorte d’accumulation, en mettant en risque tout ce qui concerne le roi dans son royaume, sa couronne, sa grandeur, et même sa personne aux yeux de son peuple.

1.2.   Les recommandations proposées 

    Cependant, le message qui semble avoir l’impact persuasif le plus lourd c’est celui qui permet d’éveiller une peur maximale. Pour ce faire, les protagonistes doivent travailler par l’intermédiaire du bien-fondé des comportements recommandés, et l’accentuation du sentiment d’efficacité personnelle.

 De même, les messages utilisés doivent prendre en compte la culture des personnes ciblées, c'est-à-dire les normes, valeurs, croyances et pratiques spécifiques à la communauté culturelle.

Ainsi Chimène s’exprime de la façon suivante :

 

   Enfin mon père est mort, j’en demande vengeance

   Plus pour votre intérêt que pour mon allégeance

   Vous perdez en la mort d’un homme de son rang :

   Vengez-la par une autre, et le sang par le sang.

    Immolez, non à moi, mais à votre couronne,

    Mais à votre grandeur, mais à votre personne ;

   Immolez, dis-je, Sire, au bien de tout l’Etat

    Tout ce qu’enorgueillit un si haut attentat. [11]

Pour persuader le roi de punir son ennemi, et pour le pousser à suivre irrationnellement ses recommandations, Chimène « met en risque » tout ce qui concerne le pouvoir du roi et son règne ; et justifie ces recommandations par la maintenance de la personne du roi et de son règne, en se montrant neutre « non à moi ».

L’insistance sur la neutralité de ses recommandations, par la répétition du mot « mais », a confié à la parole de Chimène un poids plus lourd sur le roi et a augmenté l’impression concernant la sincérité de sa motivation de sauver le roi et l’Etat des forfaits du héros.

1.2.1.      Le cadrage 

     D’après Girandola[12], parmi les caractéristiques du message d’appel à la peur, il est nécessaire de mentionner le cadrage du message préventif, c’est-à-dire la concentration du message préventif sur les gains de suivre les recommandations, ou sur les risques de ne pas les suivre, et l’effet de ce cadrage sur le processus de la persuasion.

Dans Le Cid, Chimène essaye de persuader le roi que c’est à lui que reviennent les bénéfices de l’application des recommandations.   Nous remarquons que l’effet de cadrer le message préventif d’un cadre positif est plus puissant que celui de le cadrer d’un cadre négatif. Autrement dit, le message de Chimène, qui est concentré sur les gains associés au comportement  recommandé, c’est-à-dire de punir le héros tragique et de commettre un autre acte violent pour faire face au premier,  est plus fort, plus touchant et plus persuasif  que celui de  se concentrer sur les périls auxquels le roi pourrait être encouru en cas de ne pas suivre ses recommandations.

1.3. L’efficacité des recommandations et les motivations à la protection

Selon Pavis, les changements éventuels du comportement ne sont, en fait, pas uniquement liés aux arguments présents dans les messages, mais à la production de réponses cognitives (positives, négatives ou neutres).[13]

En examinant l’attitude du roi vis-à-vis du message menaçant, nous constatons que l’anticipation des évènements, processus pour éveiller la peur, conduit les individus à avoir une attitude plus active notamment par la recherche des moyens pour faire face au danger.

1.3.1.      Le processus du décodage et l’évaluation de la menace 

       Pour faire face à un message représentant un danger pour lui, « le récepteur impliqué par la menace met en place deux types de réponses en parallèle, selon deux voies. Premièrement, il traite le danger lui-même et, deuxièmement, il tente de diminuer la peur que déclenche le message ». [14]

   Dans le modèle étendu des réponses parallèles, Witte précise les interactions entre les deux voies, et les raisons pour lesquelles le destinataire s’oriente vers l’une ou l’autre. Dans la première voie, il essaye de contrôler le danger par un processus de résolution de problème ; tout en évaluant le rapport entre la menace et l’efficacité de cette menace. Dans la deuxième, il tente de contrôler la peur.

  En effet, c’est le processus du décodage de la menace qui conduit l’attitude de la personne cible concernant la menace et la recommandation impliquée. Autrement dit, en faisant une évaluation de la menace et de l’efficacité de la recommandation proposée, la personne menacée précise son attitude vis-à-vis du danger. Ou bien il fait un contrôle du danger, ou bien il fait un contrôle de la peur.

 Dans le premier cas, la personne cible se sent fortement menacée par le danger, ce qui la pousse à prendre une attitude conformément à la recommandation proposée.

Dans Le Cid, après la plaidoirie de Chimène cherchant à persuader le roi du danger de son ennemi (Rodrigue) sur l’Etat, elle lui propose une solution pour faire face au danger qui est de garantir sa couronne et maintenir la paix dans l’Etat, à travers le châtiment de Rodrigue.

La réaction du roi est d’une grande importance puisque sa conduite révèle explicitement qu’il se sent fortement menacé, ce qui l’a conduit à faire un contrôle du danger de Rodrigue, en appliquant la recommandation proposée. Il a ordonné alors de garder don Diègue, le père de Rodrigue, comme prisonnier dans la cour et d’envoyer les soldats à la recherche de Rodrigue.

   L’affaire est d’importance, et, bien considérée,

   Mérite en plein conseil d’être délibérée.

   Don Sanche, remettez Chimène en sa maison ?

   Don Diègue aura ma cour et sa foi pour prison,

   Qu’on me cherche son fils, je vous ferai justice. [15]

Nous voyons ici que la communication entre le roi et Chimène a mené au succès et à l’obtention des objectifs de la personne plaidant, c’est-à-dire de punir le héros tragique. Tout ce qui précède montre clairement l’efficacité du message préventif, et son effet sur les comportements de la personne cible.

 

  Dans les scènes qui suivent, nous remarquons que ce succès n’était que provisoire. En évaluant la menace impliquée par le message de Chimène, le roi considère le danger de Rodrigue d’une importance notable.  Mais après la victoire de ce héros sur les Maures, l’attitude du roi a changé. Le roi a pris alors une attitude totalement contradictoire vis-à-vis des objectifs de Chimène, il a acquitté le héros tragique en le considérant au-dessus des lois vue la valeur inestimable de ses œuvres héroïques.

      Et quoi qu’ait pu commettre un cœur si magnanime

      Les Mores en fuyant ont emporté son crime  [16]

L’attitude du roi révèle ici qu’il a fait un contrôle de la peur provoquée par le danger et non pas du danger. En considérant le héros tragique comme indispensable pour la maintenance du règne du roi et pour le pouvoir de tout l’Etat, le roi a éliminé le sentiment du danger que provoque le héros, et la communication visant à condamner ce héros a donc abouti à l’échec.

1.3.2.      L’influence du système de valeurs 

Selon le modèle hiérarchisé de la motivation à se protéger de Tanner, l’application des recommandations ne se fait pas seulement par le recours aux arguments proposés, jouant sur la sévérité de la menace et la vulnérabilité de la personne concernée ou sur des recommandations réalistes et réalisables, il faut aussi prendre en considération le système de valeurs dominantes.

La décision du roi est fortement justifiée par ce point distinctif du modèle de Tanner où les valeurs dominantes prennent un rôle primordial. En acquittant Rodrigue, le roi déclare que celui-ci est au-dessus des lois et que son acte victorieux dépasse sa faute revenant de ce faire au système de valeurs dominantes.  Nous adhérons ici à l’avis de Biet qui affirme que le héros est indispensable pour la maintenance du royaume :

« les rois et les héros sont donc représentatifs de l’ensemble de la cité et nécessaires à l’éclat et à la noblesse de la tragédie, et s’il y a, comme le dit d’Aubignac, du danger à condamner les héros, à les exempter de leurs forfaits les plus lourds ou à les acquitter, Corneille insiste plutôt sur la pitié qu’on doit avoir pour leurs erreurs et l’admiration qu’on peut éprouver pour leur conduite vertueuse.» [17]

1.4. L’auto-efficacité

   Ainsi, ce n’est pas seulement la présence des recommandations qui favorise l’efficacité, il faut en plus que les solutions envisagées soient jugées comme réalistes et aptes à avoir un réel impact.

Selon witte et Allen, l’auto-efficacité et les recommandations sont les variables qui ont le plus de poids sur la persuasion comparativement à la menace. [18]

L’auto-efficacité ou le sentiment d’efficacité personnelle est un concept développé par Bandura qui désigne les croyances des individus quant à leurs capacités à réaliser des performances particulières .[19]

En effet, les recommandations contenues dans le message des protagonistes   sont très importantes de telle sorte qu’elles manifestent explicitement le véritable but de la communication qui est de châtier le héros tragique. Ces recommandations semblent être réalistes et la personne cible : le roi, semble aussi être capable de les mettre en place.

1.4.1.             Les arguments susceptibles d’accentuer l’auto-efficacité 

Girandola affirme que le fait d’apporter des éléments pour conforter l’auto-efficacité est important pour les conditions de réussite du message préventif.

De sa part, en se référant à des termes rappelant le pouvoir du roi, Chimène met l’accent sur la capacité de celui-ci d’appliquer les recommandations proposées. Elle procède ainsi du registre laudatif pour révéler sa confiance en la capacité du roi de mettre en place les recommandations proposées pour faire face à la menace « le plus juste des rois » ; le superlatif exagéré montre la volonté des protagonistes de faire apparaitre au roi qu’ils ont une grande confiance en lui et de l’encourager à prendre une attitude conformément à leur recommandation.

Leur message préventif contient aussi des inférences du règne du roi « votre puissance, votre cour, votre couronne, votre grandeur » pour augmenter chez le roi le sentiment de la capacité d’appliquer la recommandation.

Conclusion 

  Après avoir essayé d’analyser les stratégies de l’éveil de la peur, nous déduisons que même si la menace apparait forte, elle pourrait ne pas produire de la peur, mais les arguments dont les personnages procèdent et les images qu’ils présentent contribuent  à capter l’attention de l’auditoire et mener la stratégie de l’appel à la peur au succès. Nous remarquons aussi que le message préventif est   soigneusement présenté de telle sorte que la réflexion de l’interlocuteur s’articule autour de la menace, ce qui entraine l’efficacité perçue des recommandations, sans négliger le fait que persuader l’interlocuteur de l’importance de la menace s’appuie sur la nécessité de donner confiance à l’interlocuteur en sa propre capacité à suivre les recommandations (auto-efficacité). Le sentiment d’auto-efficacité n’est donc qu’une donnée clé de la persuasion. Enfin, les résultats de la persuasion marquent que les objectifs de la communication atteignent leur apogée lorsque les degrés de menace, d’efficacité des recommandations, et d’auto-efficacité sont à leur plus hauts niveaux.



[1] Courbet, D. Puissance de la Télévision, Stratégies de communication et influence des marques, Préface de J.N. Kapferer, 1990, p.244

[2] Hovland et AL. « Communication and persuasion », 1953ii

[3] Witte, K., & Allen, M. «A meta-analysis of fear appeals: implications for effective public campaigns. », 2000, pp.423-450

[4] Corneille, P. Le Cid, Paris, Bordas, 1980, p.63

[5] Courbet, D., D. Priolo et I. Milhabet. « Communication persuasive et santé publique : effets de la vividité et de la répétition des messages sur l’optimisme comparatif et sur l’intention comportementale », 2001, pp. 163-175

[6] Corneille, P. Op.cit, p.63

[7] Ibid, p.62

[8] Ibid, p.63

[9] Ibid, p.63

[10] Corneille, P. Op.cit, p.63

[11] Ibid, p.63

[12] Girandola, F. « Peur et persuasion : présentations des recherches et d’une nouvelle lecture (1953-1998) », 2000, pp. 333-376

[13] Pavic, G. « Utilisation de la peur en prévention », 2011, p.3

[14] Leventhal, H. « Findings and theory in the study of fear communications », 1970, pp.119-186

[15] Corneille, P, op.cit, p.65

[16] Ibid, p.94

[17] Biet, Ch. La tragédie,1997, p.117

[18] Witte, K., & Allen, M. «A meta-analysis of fear appeals: implications for effective public campaigns. », 2000, pp.591-615

[19] Bandura. «Self-Efficacy: toward a Unifying Theory of Behavioral Change»A.1977, pp.191-215



[i] Nous faisons recours ici à des modèles visant à étudier le rôle de l’éveil de la peur dans la persuasion : « le modèle hiérarchisé de la motivation à se protéger » (Tanner, Hunt et Eppright, 1991), « le modèle par étape du traitement de l’éveil de la peur » (Das, E.H., De Wit, J.B.F., & Stroebe, W, 2003), « le modèle étendu des processus parallèles » (Witte, 1998)

              WITTE, K. «Fear as motivator, fear as inhibitor: using the extended parallel model to     explain fear appeal successes and failures». In P.A. Andersen., & L.K. Guerrero (Eds.), Handbook of communication and emotion: research, theory, applications, and contexts. San Diego: Academic Press. 1998, pp. 423-450

 

              Das, E.H., De Wit, J.B.F., & Stroebe, W. «Fear Appeals Motivate Acceptance of Action

Recommendations Evidence for a Positive Bias» in the Processing of Persuasive Messages. Personality and Social Psychology Bulletin, 2003, 29(5), 650-664.

 

            Tanner J.F., Hunt J.B. et Eppright D.R. «The protection motivation model: A normative model of fear appeals», The Journal of Marketing, 1991, 55, 3, 36-45.

ii  Cette référence est mentionnée dans ( GIRANDOLA, F. (2000), « Peur et persuasion : présentations des recherches et d’une nouvelle lecture (1953-1998) ». L’année Psychologique, 100,333-376.) sans citer le numéro de page.

 

Références bibliographiques

BANDURA, A. (1977) «Self-Efficacy: toward a Unifying Theory of Behavioral Change». Psychological Review, 84, pp.191-215.

 BIET, Ch. (1997), La tragédie, Paris, Armand Colin/Masson.

CORNEILLE, P. (1980), Le Cid, Paris, Bordas.

 COURBET, D., (1990), Puissance de la Télévision, Stratégies de communication et influence des marques, Préface de J.N. Kapferer, Paris, L'Harmattan, p.244.

 COURBET, D., D. PRIOLO et I. MILHABET. (2001), « Communication persuasive et santé publique : effets de la vividité et de la répétition des messages sur l’optimisme comparatif et sur l’intention comportementale », Revue internationale de psychologie sociale, 14(4), pp.163-175.

GIRANDOLA, F. (2000), « Peur et persuasion : présentations des recherches et d’une nouvelle lecture (1953-1998) ». L’année Psychologique, 100, pp.333-376.

 HOVLAND et AL., (1953), « Communication and persuasion », Psychological studies of opinion     change. Yale University Press.

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Chaymaa Almohammad Alobeid / Rouba Hamoud, «La persuasion par l’éveil de la peur dans Le Cid de Pierre Corneille»

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Papier : p p 233-242,
Date Publication Sur Papier : 2019-12-26,
Date Pulication Electronique : 2019-12-26,
mis a jour le : 26/12/2019,
URL : https://revues.univ-setif2.dz:443/revue/index.php?id=6469.